[Raito/Alywen] Les liés

La tête basse et les mains levées et fixées au mur par ses chaînes, il frissonna encore au contact de la pierre froide et humide sur sa nuque. Fouillé et débarrassé de tout ce qu'ils avaient pu trouver – ce qui se résumait à un collier, un bracelet et des cartes de différentes régions, sans compter les diverses armes – il tenta de garder le peu de chaleur qu'il avait réussi à préserver en se recroquevillant sur lui-même, pressant le cuir de son armure contre ses jambes, il fixait de ses yeux bandés les dalles entre lesquelles la mousse végétale se frayait lentement son chemin. Et tandis qu'il se mordait sa lèvre fendue, et provoquait un gémissement plaintif, presque inaudible, d'Alywen non loin, Raito se remémora la soirée qui l'avait plongé ici.

Il avait été sot. Il aurait dû comprendre, rien qu'en voyant Dérélicte aussi enjouée ce soir, que quelque chose se passait. Il aurait aussi dû comprendre pourquoi elle s'intéressait... Aussi soudainement à lui, à son passé. A cette pensée, il grimaça. Il lui avait laissé trop voir, à elle, lorsqu'elle avait matérialisé sa mémoire... Le paysage... Les yeux. Il aurait dû comprendre pourquoi l'avoir choisi lui ce soir pour venir à Uldum, encadré de deux Chimères, lui, simple Éclairé.

Ce qu'il ne comprenait pas cependant était leur obstination suite à la question fatidique de Lou. Cette dernière aurait dû écarter tous les soupçons le concernant. Il poussa un léger gémissement en entendant de nouveau les phrases que la rouquine avait pu prononcer ce soir, profondément déçu, comme lorsque Mayan, la femme avec laquelle ils persistaient à le penser complice ou ennemi du Masque, avait tenté d'égorger Dérélicte. Tout ce que Lou avait pu dire quant à la relative confiance qu'elle lui accordait n'avait finalement été qu'un tissu de mensonges.

Dérélicte... Sa Chimère. Celle qui avait cru en lui. Il maugréa. Il avait vraiment tout fichu en l'air, encore une fois : après qu'il lui ait promis de ne plus voir Mayan, il avait pourtant eu la ferme intention de ne jamais manquer à sa parole. Et ceci était mieux pour tout le monde. Malheureusement et à cause de diverses rencontres, il avait été obligé de...

En pensant à ces dernières, il leva la tête soudainement, manifestement inquiet. Il tenta de prononcer, malgré son bâillon, le nom de la femme qui avait voulu l'aider ce soir, celle dont il devinait l'aide sincère, l'innocence presque : le nom d'Alywen, faiblement. L'émotion perçait dans sa voix basse, et la culpabilité se lisait elle aussi. Celle qui l'épaulait. Il guetta le moindre son, écoutant longuement, avec attention, avec tendresse et gratitude, la respiration de celle qui lui avait permis, tout récemment, de ne pas faire céder les digues qui le retenaient. L'autre. L'Oeil.
Celle avec qui il était lié.
Et, reposant la tête contre le mur froid avec un soupir, l'oreille tendue, il attendit.

(HRP : le rôle du personnage d'Alywen, le second prisonnier, est tenu en jeu par Mayan)

Réflexion faite et en toute objectivité, Alywen était forcée de reconnaître que son intervention avait été des plus stupides. Bondir ainsi alors que Raito était entravé et encerclé par quatre folles furieuses ne pouvait évidemment pas bien se terminer pour eux. Etouffant un soupir agacé, elle essaya de frotter l’intérieur de sa paume droite qui la démangeait atrocement. Elle ne savait pas ce que cette Dérélicte était en train de faire à Raito quand elle était intervenue, mais elle se souvenait d’avoir ressenti sa peur, sa douleur puis la rupture du lien tandis qu’il perdait connaissance. Affolée, elle n’avait pas pris la peine de réfléchir et s’était précipitée à son secours.

Heureusement, ses années d’entrainement lui avait permis d’esquiver la plupart des attaques sournoises des trois hystériques. Elle remercia intérieurement de ne pas avoir eu à se battre, consciente qu’elle n’aurait probablement pas fait le poids contre des expertes des armes et terriblement au fait des risques qu’auraient encourus son ami si elle avait été blessée ou pire. Son domaine à elle, c’était plutôt la ruse et les combats déloyaux. Mordant sa lèvre fendue et souriant légèrement au grognement sourd de Raito à travers son bâillon, elle se laissa aller contre la pierre froide. Leur lien bien qu’agaçant, douloureux et dangereux avait quelque chose de rassurant. Ce petit jeu de vengeance puérile entre eux l’amusait étrangement. Se tapant régulièrement et doucement la tête contre le mur, elle retint un rire en entendant l’homme brun gigoter à ses côtés. Elle se prit tout de même à espérer qu’il ne serait pas torturé. Elle commençait à trouver que les plaies qui fleurissaient une à une sur son propre corps musclé n’était que trop peu souvent de son fait.

Fermant les yeux bien inutilement sous son bandeau, elle repensa à l’air étrange de l’elfe penchée près de Raito et au chat qu’elle avait espéré écraser sous la fille aux aiguilles. Ces gens étaient vraiment bizarres. Une nouvelle fois, elle se demanda dans quoi le noble avait bien pu s’embarquer. Le type qui l’avait ramenée à dos de griffon lui avait toutefois semblé différent. Elle s’interrogea sur ses liens avec les autres membres de l’organisation secrète. Taciturne et avec la répartie facile, elle l’avait trouvé intriguant, et se demandait si l’avenir le remettrais sur sa route un jour. Esquissant un sourire et s’intimant au calme, elle inclina un peu la tête en direction de Raito. Il n’y avait plus qu’à attendre.

Une heure plus tard, la trappe au plafond qui menaient aux cellules s'ouvrit de nouveau sur un raie de lumière.
Dans un concert de froissements de jupons, Dérélicte descendit prudemment les marches craquantes , en soulevant les pans de sa robe pour voir où elle mettait les pieds. A sa suite, deux serviteurs et son chat la suivaient de près. Elle passa devant les cellules des autres prisonniers sans un regard, et se dirigea droit vers celle de Raito. Les lieux devenaient trop exigus. Il allait falloir investir pour agrandir l'endroit.

Dérélicte était en colère. Déçue, trahie, amère. Pourtant, aucun signe ne permettait de le définir, son visage était impassible, son regard calme et ses gestes posés. Aucun signe... ou peut-être un seul, pour les très rares personnes qui auraient prit la peine de la connaitre vraiment : la lourde odeur de parfum qui la suivait. Dérélicte se parfumait toujours plus que de coutume, quand lui montait une colère des entrailles. Depuis toute petite, l'odeur de la vanille et du citron l'aidaient à garder son calme. Cela lui rappelait le parfum de la seule personne qui, après tout, l'eut peut-être vraiment aimée : Liladris Ondelune, qui lui avait servit de mère adoptive.

En approchant la cellule, son chat crachat en direction d'Alywen. La siamoise claqua des doigts : les deux serviteurs ouvrirent la cellule et emportèrent l'humaine sans ménagement.

"Vous lui administrez tout de suite, tant que les souvenirs et les discours de Lou sont encore frais dans sa mémoire. Ensuite, vous me la lâchez dans la nature, pas loin de chez elle."

Les serviteurs acquiescèrent et sortirent de l'endroit avec leur colis. Dérélicte prit lentement place sur une petit tabouret qu'elle trouva dans le couloir, face à Raito et le regarda sans rien dire. Puis elle baissa doucement le bandeau qu'il portait sur les yeux en lui adressant un petit "coucou" narquois de la main.
Sans attendre qu'il ouvre la bouche, elle prit la parole.

"Bon ! Marquise de Rédemptis, on va essayer de la faire courte. Permettez néanmoins avant de commencer, que je rende grâce au retour prodigue de vos neurones, il semblerait que vous vous soyez évité les méthodes d'Eryka. C'est bien : votre vie n'en sera que meilleure et plus longue.

Je résume :
- Vous m'avez mentis quand je vous ai demandé si vous connaissiez Mayan.
- Vous m'avez mentis quand je vous ai demandé depuis combien de temps vous connaissiez Mayan.
- Vous m'avez mentis quand je vous ai demandé si vous saviez ce qu'était cet anneau qu'elle portait.
- Vous m'avez mentis quand je vous ai demandé si vous aviez de nouveau vu Mayan.
- Vous m'avez mentis quand je vous ai demandé quand l'aviez vous vu pour la dernière fois.

Permettez que je tire une conclusion triviale de tout ceci : Raito de Rédemptis, vous êtes un menteur.
Je vous ai accueilli à bras ouvert dans ma Maison. Je vous ai confié ses secrets, je vous ai permis de pénétrer ceux de notre guilde, je vous ai donné ma confiance. Même après vos mensonges, je vous ai redonné votre chance. Sachez que la substance même de vos mensonges m'importe autant qu'une guigne. Après tout, vous êtes libre de continuer de trainer à l'ombre des jupons de Mayan si cela vous chante, ce n'est pas un crime. Je vous ai expliqué le concept de loyauté. De sincérité. Je vous ai même donné, sachant très bien que vous me mentiez, l'occasion de me dire la vérité. Ce qui est un crime, Raito, c'est que vous ne puissiez à priori pas respirer sans mentir. Et sur des broutilles ! Des mensonges ridicules ! C'est très grave, vous savez ? C'est une maladie ! On appelle les gens comme vous des mythomanes.

Une nuit, au sommet d'une tour de Dalaran, vous avez juré fidélité à l'Éclat. Vous m'avez juré loyauté et confiance. Je vous ai demandé à maintes reprises, si vous aviez des informations qui seraient susceptibles de m'inquiéter. Vous m'avez encore mentis. Mais tout ceci est un détail confronté au reste...
Car voilà qu'en creusant un peu plus, ô surprise, je m'aperçois maintenant qu'en plus d'être un menteur compulsif, vous êtes également un traitre. Doublé d'une taupe. Infiltré chez nous pour le compte d'une humaine qui veut notre perte !!! "

La siamoise approcha son visage de celui de Raito et lui répéta calmement :

"Un menteur. Une taupe. Un traitre."

Reprenant sa place elle poursuivit :

"Que vous dire compagnon... Je suis déçue. Et j'ai de la peine. J'aurai pensé que nous aurions pu devenir amis. Et que vous sauriez être reconnaissant de la confiance que je vous offrais. A la place, vous avez préférez vous mettre en travers de ma gorge et ne pas saisir une SEULE des nombreuses occasions que je vous ai donné de cesser de me prendre pour une conne. Et vous savez quoi ? Vous vous êtes trompé. J'ai bien des défauts, mais je ne suis pas une conne, Raito. Et je déteste, qu'on me prenne pour une conne, Raito.

Maintenant, j'ai trois questions. Et je vous demande seulement d'y répondre, sans pathos, et sans augurer de ce que vous pensez que je ferai de vous ensuite.

- Premièrement, je veux connaitre TOUTES les informations que vous avez transmises à votre employeur, bien que je sois stupéfaite qu'un Marquis ait pu se faire employer par une contrebandière Tanarienne.

- Deuxièmement, je veux savoir comment votre compagne, a su qu'il fallait viser mon chat pour arrêter ma visite dans votre mémoire de taupe.

- Troisièmement, je voudrai que vous me mettiez à ma place. Et que vous me disiez ce que vous feriez d'une taupe, traitresse, doublée d'un menteur. Et qu'ensuite vous vous défendiez et m'expliquiez pourquoi je devrais vous garder parmi nous. Je ne parle même pas de vous laisser en vie.

Nous parlerons ensuite du reste.
Et maintenant c'est à vous, Marquis de Rédemptis. Je vous écoute : faites honneur à votre lignée."

Dérélicte écouta le torrent de fiel que déversait Raito avec un sourire en coin. Au fur et à mesure que la rage du Marquis lui était jetée au visage par poignées, son sourire grandissait, si bien qu'à la fin du discours, un grand sourire illuminait ses traits.

"Des leçons, des insultes, de la haine et du mépris ? Enfin voici votre visage, compagnon."

La siamoise pensait à tout ce que Raito avait apprit sur le Masque. Mais surtout... la siamoise pensait à tout ce que Raito ne savait pas. A l'Éclat. Tant d'énergie, tant de rage si mal dirigée. Raito, au final, aurait pu faire un excellent éclairé. La colère s'était envolée. Dérélicte tapota l'épaule du Marquis en poussant un long soupir.

"C'est bien mon garçon. Très bien. Mais je n'aurai pas cru que vous faire sortir de vos gonds soit aussi simple. J'ai tout ce que je voulais de vous."

Dérélicte se leva et se replaça une mèche derrière l'oreille, dans un tintement de bracelets.

"Vous savez... Je sais et je comprend l'agacement que cela procure de s'entendre dire que ses actes sont le résultat d'un jeu d'échec qui nous dépasse. Sincèrement.
Mais ce qui vous a permis de jouer votre rôle de taupe, mon garçon... Ce ne sont pas mes aveux..."

Elle haussa les épaules en souriant avec douceur.

"C'est votre destin...
La trame du Complexus, que les Titans ont tissé pour vous. Vous gambadez sur le sommet d'un iceberg, Raito. En faire la carte est loin de vous donner l'idée du volume qui vous échappe encore. Haha. Je suis bien content que votre opinion soit maintenant forgée du beau métal des vérités subjectives. Mais si j'avais été à votre place, je me serai fait venir des idées, plutôt que des opinions. Vous savez différencier les idées des opinons Marquis ? C'est simple : les opinions sont des postures... Rigides et pudibondes... Les opinions sont des constats subjectifs figés. On appelle aussi ça : des clichés. Et dans tous les sens du terme.
Les idées par contre...
Les idées servent à construire. Elles ne s'embarrassent par des jugements desquelles découlent les opinions. Ce n'est pas leur objet. Non... Les idées agissent sur les éléments. L'idée, c'est faire des liens. Et faire des liens, on appelle ça l'intelligence. L'inter-ligentia. Vous me dite que vous vous êtes forgé une opinion ? Et bien moi je vous répond que ce sont les idées qui servent de forges.

Par exemple... Si je devais me faire une opinion de vous sur ce que je vois. Bon. Bha je vous tuerais. Vous êtes un trâitre et en plus, vous êtes insultant. Mais j'ai mieux qu'une opinion pour vous, Raito."

Dérélicte lui souffla à l'oreille dans une bouffée de parfum.

"J'ai une idée."

Puis, tout en lui remettant le bâillon, elle ajoutât.

"Et vous savez le plus drôle...? C'est que tout ça va être un peu grâce à vous au final. Non, non, n'insistez pas, je ne vais pas tout vous dire, il n'y aurait plus de surprise, allons. Mais ce qui est amusant c'est que même si je vous l'expliquais, vous l'oublieriez dans quelques heures... alors à quoi bon ?"

La trappe menant aux cellules venait de s'ouvrir. Alywenn venait à l'instant de prendre la potion d'oublis. D'un simple regard la Siamoise indiqua Raito à ses deux serviteurs, un sourire en coin. Avant que le Marquis ne se fasse emmener elle l'embrassa sur le front et lui murmura.

"A très bientôt compagnon..."

Elle regarda Raito se faire emmener. Dans une heure il serait à la Maison mère. Il serait endormit. Et par le biais des trois Chimères, sa mémoire et tout ce qui pouvait concerner, de près ou de loin, ce qu'il avait apprit sur le Masque ou les trois Maisons, allait lui être effacé. Il se retrouverai amnésique, à Hurlevent avec pour seul souvenirs, ceux qu'ils avait avant son entrée dans la guilde.

Et parmi ses souvenirs... se trouvait celui de sa mission. Devenir une taupe au nom d'Ishaä et infiltrer le Masque. Et Raito allait revenir. Et l'Éclat l'accueillerait à bras ouverts. Et grâce à cela, la guilde remonterait jusqu'à Ishaä et mettrait enfin un terme à la menace qu'elle représentait.
Les principes du Complexus avaient du bon parfois... quand on en connaissait la trame.

Dérélicte remonta les marches et sortit des cellules. La traine de sa longue robe glissa derrière elle comme un serpent sur les marche alors que son pas léger la menait vers la lumière. Elle était heureuse...

Car à vrai dire...

Et je vais vous le dire...

Mettre la main sur Ishaä était secondaire.
Raito aurait, à terme, un bien autre rôle...
Le temps où il lui serait enfin donné les moyens choisir n'était plus loin.

L'aube se levait sur Forgefer.
Dérélicte alluma son porte cigarette en regardant le soleil et lui rendit son sourire.

"Acte 2..." chuchotât-elle en recrachant une bouffée de fumée mauve.




Et d'un coup de talons, elle lança son hippogriffe en direction du Norfendre.