Une succube innocente et quelques réponses

La porte de la cellule s'ouvrit en grinçant, laissant passer la haute silhouette nimbée de cheveux roux d'Aschmédaï. Il se redressa de toute sa hauteur, dardant un regard à la neutralité troublante sur la prisonnière avant de lisser patiemment une des manches de sa robe, puis l'autre.

"Laisse moi te dire une chose, démone."

Il fit craquer son cou comme un boxeur qui se préparerait à cogner un sac de sable, impression confortée par l'œil au beurre noir qu'il arborait. Sa lèvre trembla légèrement en un tic nerveux, en dépit de la neutralité qu'il s'efforçait de conserver.

"T'aurais pas pu choisir un pire moment pour faire tes conneries, vraiment. C'était une soirée particulière pour moi, et tes petites conneries m'ont vraiment désappointé."

Se laissant lourdement tomber au sol sans lui laisser le temps de la répartie, il s'assit en tailleur et ferma les yeux, se contentant simplement de rester hors de portée de la prisonnière.

"Et si y'a bien une chose dont j'ai une sainte horreur, c'est d'être désappointé. conclut-il froidement. Alors d'abord, je vais vérifier une chose... Et ensuite... Comme je sais que les tiennes adorent hurler... Je vais te donner l'occasion de faire des vocalises."

Quelques instants plus tard, il était déjà en train de remonter la piste astrale de la créature, bien décidé à trouver son maître, même s'il avait une petite idée de l'endroit où cette traque le mènerait...

Le démoniste rouvrit doucement les yeux pour darder un regard froid sur la succube, son calme retrouvé. Ainsi, cette sale petite fouine d'Ilana était bien ce qu'elle paraissait être... Il aurait du se débarrasser d'elle ce soir là, lorsqu'elle était à sa portée.

"Parle, dit-il simplement d'une voix atone. Sache cependant une chose..."

Levant doucement un index devant lui, il y fit luire une flamme de gangrefeu, qui dégagea une pluie d'étincelles vertes accompagnées d'une atroce odeur de souffre.

"Tu ne peux pas parler librement tant que tu es liée à ta maîtresse. Et je n'ai pas d'autre solution pour briser ce lien que de la tuer, autant dire qu'il serait plus simple de lui tirer directement les vers du nez plutot que de m'échiner vainement à te faire causer. C'est un fait sur lequel je ne chercherais pas à tergiverser."

Marquant un petit silence, il déposa son index incandescent dans le petit bac d'eau qui était le lot commun de tous les prisonniers. Le liquide s'enflamma aussitôt comme si c'était de l'huile, jusqu'à ce que le récipient lui même se consume, et qu'il n'en reste qu'un tas de cendres noire exhalant une odeur pestilentielle...

"Actuellement, la seule chose qu'il te reste à négocier, c'est la façon dont je vais gérer cet interrogatoire. A savoir avec tout le sérieux et le professionnalisme que Treize est en droit d'attendre de son thaumaturge... Ou de façon très personnelle... Parce que je pourrais y prendre mon pied, à défaut d'avoir des réponses."

Il adressa alors son sourire le plus cordial à la démone, une lueur d'amusement dans le regard, avant de souffler sur son doigt comme s'il éteignait une bougie...

Aschmédaï écouta la démone jusqu'au bout, se contentant d'arborer une légère impatience quand elle devenait trop verbeuse, allant une seule fois seulement jusqu'à réinvoquer son étincelle de gangrefeu au bout de son index pour ramener son interlocutrice dans le vif du sujet.

Lorsqu'elle eut finalement terminé, il opina calmement du chef, l'air à la fois songeur et moins énervé qu'il ne l'était au début de cet interrogatoire. Il fit quelques pas, tournant en rond, assimilant tout ce que la succube venait de lui dévoiler, laissant tout juste filtrer quelques "mmm". Puis finalement, il se campa devant elle et opina du chef.

"Très bien. Je vais prendre tous ces éléments en considération et ferais figurer tout ça dans mon rapport. Tu vois, ce n'était pas la peine de me pousser à faire des menaces. Entre gens raisonnables, on arrive toujours à discuter."

La créature fit la moue et protesta, lui rappelant d'un ton cynique et arrogant que c'était lui qui avait cru bon de faire des menaces pour commencer, ce qui lui arracha un haussement d'épaules lourd d'indifférence en retour. Puis il fit demi-tour, franchit le pas de la porte, et referma la grille. Au moment où le penne de la serrure de celle-ci s'enclenchait avec un cliquetis, il haussa un sourcil, sortit la clef de sa poche, rouvrit, et revint près de la prisonnière.

"Ho, j'ai oublié ! s'écria-t-il du même ton aiguë qu'elle avait employé dans son excitation, tout en se frappant le front. J'ai oublié de te dire que..."

Ôtant nonchalamment un de ses gants, il posa sa main nue sur la tête de la créature avec un sourire évoquant celui d'un prédateur affamé...

"J'ai oublié de te dire que je suis un mauvais perdant chronique, que j'ai un égo démesuré, et que pour m'avoir humilié, ta seule existence m'est devenue insupportable."

Dans un sifflement atroce, la main du démoniste s'enflamma dans une grande gerbe de flammes vertes, qui se répandirent sur la tête de la démone, puis sur ses épaules et sur le reste de son corps comme un feu se répand sur un toit de chaume. Le gangrefeu a pour particularité qu'il brûle même sous l'eau et sans air... Une fois que ses flammes se sont attachées à quelque chose, elles ne s'éteignent qu'après l'avoir complétement consumé, ne laissant derrière elles ni fragments de vêtements, ni os, rien qu'un tas de cendres noires et nauséabondes.

Le démoniste observa calmement sa proie se désintégrer en hurlant de rage et de souffrance sous le coup de son sortilège... Puis il referma doucement les doigts et les étincelles gangrenées qui dansaient toujours dans l'air suivirent le chemin inverse, comme aspirées par sa main. Il ferma les yeux et se laissa aller à cette délicieuse et grisante sensation...

Cela faisait bien longtemps qu'il ne s'était pas délecté d'une âme... Et contrairement à ce que la rumeur prétendait, les plus délicieuses n'étaient pas les plus pures, bien au contraire ; la corruption et la souillure démoniaque étaient une véritable ambroisie pour qui y avait déjà goûté.

Sifflotant gaiement, il enfila de nouveau son gant, fit demi tour, referma consciencieusement derrière lui et s'éloigna dans le couloir pour aller écrire son rapport, ne laissant dans la cellule qu'un vulgaire tas de cendres noires. Si Treize lui demandait, il répondrait que la prisonnière avait recouvré sa liberté.