[BG] L'enfer peut attendre, mais jamais assez longtemps.
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[BG] L'enfer peut attendre, mais jamais assez longtemps.
I. Un pèlerinage
Le royaume de Gilneas. Où plutôt ce qu'il en restait. Cela faisait bien longtemps qu'il n'avait pas éprouvé le besoin impérieux de se rendre en ce lieu. Il n'aurait su dire ce qui en constituait l'élément déclencheur. Peut-être ce rêve récent, et cette nouvelle connaissance du Monde qui en découlait. Il haussa un sourcil dubitatif en distinguant les contours de la petite maison en ruines, en partie dissimulée par la végétation qui avait repris ses droits en ce lieu si loin de tout. Cela avait-il vraiment une importance ? Comme toujours, il s'était laissé guider par l'impulsion du moment, par son seul désir. Et comme toujours, il était prêt à en assumer les conséquences, quelles qu'elles puissent être. Car tel était ce qui séparait le fort du faible : la capacité à assumer toutes les vicissitudes que l'existence, cette chienne ingrate, mettait inlassablement sur votre chemin.
La porte de bois vermoulue par l'action du plus redoutable ennemi qui soit s'ouvrit en grinçant sur ses gonds à moitié défoncés. Un rai de lumière pénétra aussitôt dans la petite habitation, et le visiteur fronça ses sourcils roux lorsqu'une odeur tenace de moisissure lui parvint aux narines. Ses yeux d'un vert malsain scrutèrent la pénombre, s'attardant sur le mobilier daté et attaqué lui aussi par les outrages du temps. Au milieu des armoires défoncées et des commodes effondrées, il ne restait d'à peu près utilisable qu'une solide table de chêne massif, et un fauteuil fait du même bois. Réprimant un soupir, Aschmédaï Ibn Terrag, Mage-Sorcier du Premier Ordre, franchit l'espace qui le séparait du fauteuil et vint s'y installer pesamment, arrachant un gémissement de protestation à l'antique chaise qui en avait vu bien d'autres.
« - Je suis de retour, mère. » dit-il d'un ton inhabituellement mélancolique.
Le silence, seul, lui répondit. Levant doucement une main, il promena pensivement son index à la surface de la table, pour aller en attarder la pointe sur une profonde encoche qui n'était due ni à l'humidité ni aux termites. Plusieurs longues minutes s'écoulèrent. A l'extérieur s'éleva un roulement de tonnerre distant, et bientôt de grosses gouttes d'eau commencèrent à tomber tandis que le ciel s'obscurcissait devant l'orage à venir. A en juger par les flaques qui jonchaient déjà le sol de pierre, vestiges de la dernière averse, le toit non plus n'avait pas résisté aux années. Un soupir blasé échappa au puissant démoniste.
Tout cela aurait aussi bien pu arriver la veille tant chaque détail était encore vivace dans sa mémoire. Il se souvenait de tout.
Le seul moment qu'il n'avait jamais réussi à dater précisément était celui où il avait perdu sa dernière once d'humanité pour devenir... Autre chose.
Dans un recoin de la pièce, une voix narquoise parut jaillir des ombres. Aschmédaï leva lentement la tête, tiré de sa rêverie, mais guère surpris de découvrir l'éclat lugubre de deux yeux rougeoyants au dessus d'une grosse armoire à moitié effondrée.
« - De retour au bercail ? L'âge te rendrait-il sentimental ? »
Un rictus moqueur écarta légèrement les lèvres du démoniste tandis qu'il s'affalait sur son fauteuil, et jetait à l'apparition un regard dans lequel brillait une légère lueur d'amusement.
« - L'âge est la cause de beaucoup de choses désagréables. Le déclin de la condition physique et mentale, l'aigreur, l'impuissance même. Mais il rend rarement les gens plus vertueux... Zila. »
Un rire froid comme la mort s'échappa de la créature, quelle qu'elle puisse être.
« - Parce que le sentimentalisme est une vertu à tes yeux, désormais ? Peut-être avais-je surestimé ta santé mentale.
- Tu t'es toujours accordé beaucoup trop d'importance. Je ne suis pas venu débattre de ces choses avec toi. De ces choses, ni d'aucune autre.
- Non, bien entendu, reprit la voix, narquoise. Tu es venu te lamenter dans ce qui fait ta faiblesse. Regarde toi, Aschmédaï ! Regarde le gâchis sans nom que représente ta seule existence ! Tu aurais pu devenir le plus puissant occultiste qu'Azeroth aie porté ces mille dernières années ! Et peux-tu me dire quelle voie tu as choisi à la place ? Celle d'un vulgaire vagabond vivant de rapines et d'expédients, d'alcool et de filles faciles.
- La flatterie ne prend pas.
- Ah ! Alors veux-tu que nous parlions de tes nouveaux compagnons ? De cette bande de drôles et de bouffons auxquels tu as prêté allégeance ? Ouvre les yeux, petit imbécile ! Ils n'hésiteront pas un seul instant à se débarrasser de toi. A bien choisir, tu aurais encore mieux fait de continuer à profiter de la stupidité des écarlates... »
La main du démoniste se détendit brusquement tandis qu'il se levait dans un même mouvement fluide. L'air siffla et grésilla lorsqu'une boule de flammes vertes traversa la pièce pour aller exploser au dessus de l'armoire en une myriade d'étincelles, qui laissèrent derrière elle une abominable odeur de souffre et une trace noire et calcinée sur le bois humide des poutres. Les traits du visage d'Aschmédaï, plissés en une expression haineuse, se détendirent peu à peu et il se rassit, époussetant d'un geste agacé la main de sa robe sur laquelle dansaient encore quelques flammèches de gangrefeu. Dans cette profession, ceux qui se laissaient aller à la colère faisaient rarement de vieux os tant la magie employée était instable... Mais au moins avait-il gagné quelques secondes de répit.
Aussi reprit-il son impassibilité coutumière lorsque la voix narquoise l'interpella d'un autre coin de la pièce. L'ombre aux yeux rougeoyants était cette fois juchée dans l'ombre du conduit de cheminée.
« - Oui, libère la... Ta haine, ta rancœur, tous tes sentiments les plus noirs ! Conjure les flammes du néant distordu, et réduis ces terres en cendres ! N'est-ce pas tout ce à quoi tu aspires ? Emporter les autres avec toi dans la tombe... C'est la seule façon que tu trouveras jamais pour briser la malédiction et ne pas finir seul ! Car seul, tu l'as toujours été, Aschmédaï... Et tu le seras jusqu'à ton dernier soupir. »
Sans mot dire, il se leva, projetant le fauteuil au sol, et tituba jusqu'à la sortie avant de se précipiter à l'extérieur où de grosses gouttes de pluie s'écrasèrent aussitôt sur son visage. Derrière lui retentit une dernière fois l'éclat du rire moqueur d'un fantôme, ainsi que l'énoncé de la première des nombreuses leçons de la Voie du Pouvoir :
Nous ne sommes pas si différents de ce que nous nous complaisons à détruire.
Le royaume de Gilneas. Où plutôt ce qu'il en restait. Cela faisait bien longtemps qu'il n'avait pas éprouvé le besoin impérieux de se rendre en ce lieu. Il n'aurait su dire ce qui en constituait l'élément déclencheur. Peut-être ce rêve récent, et cette nouvelle connaissance du Monde qui en découlait. Il haussa un sourcil dubitatif en distinguant les contours de la petite maison en ruines, en partie dissimulée par la végétation qui avait repris ses droits en ce lieu si loin de tout. Cela avait-il vraiment une importance ? Comme toujours, il s'était laissé guider par l'impulsion du moment, par son seul désir. Et comme toujours, il était prêt à en assumer les conséquences, quelles qu'elles puissent être. Car tel était ce qui séparait le fort du faible : la capacité à assumer toutes les vicissitudes que l'existence, cette chienne ingrate, mettait inlassablement sur votre chemin.
La porte de bois vermoulue par l'action du plus redoutable ennemi qui soit s'ouvrit en grinçant sur ses gonds à moitié défoncés. Un rai de lumière pénétra aussitôt dans la petite habitation, et le visiteur fronça ses sourcils roux lorsqu'une odeur tenace de moisissure lui parvint aux narines. Ses yeux d'un vert malsain scrutèrent la pénombre, s'attardant sur le mobilier daté et attaqué lui aussi par les outrages du temps. Au milieu des armoires défoncées et des commodes effondrées, il ne restait d'à peu près utilisable qu'une solide table de chêne massif, et un fauteuil fait du même bois. Réprimant un soupir, Aschmédaï Ibn Terrag, Mage-Sorcier du Premier Ordre, franchit l'espace qui le séparait du fauteuil et vint s'y installer pesamment, arrachant un gémissement de protestation à l'antique chaise qui en avait vu bien d'autres.
« - Je suis de retour, mère. » dit-il d'un ton inhabituellement mélancolique.
Le silence, seul, lui répondit. Levant doucement une main, il promena pensivement son index à la surface de la table, pour aller en attarder la pointe sur une profonde encoche qui n'était due ni à l'humidité ni aux termites. Plusieurs longues minutes s'écoulèrent. A l'extérieur s'éleva un roulement de tonnerre distant, et bientôt de grosses gouttes d'eau commencèrent à tomber tandis que le ciel s'obscurcissait devant l'orage à venir. A en juger par les flaques qui jonchaient déjà le sol de pierre, vestiges de la dernière averse, le toit non plus n'avait pas résisté aux années. Un soupir blasé échappa au puissant démoniste.
Tout cela aurait aussi bien pu arriver la veille tant chaque détail était encore vivace dans sa mémoire. Il se souvenait de tout.
Le seul moment qu'il n'avait jamais réussi à dater précisément était celui où il avait perdu sa dernière once d'humanité pour devenir... Autre chose.
Dans un recoin de la pièce, une voix narquoise parut jaillir des ombres. Aschmédaï leva lentement la tête, tiré de sa rêverie, mais guère surpris de découvrir l'éclat lugubre de deux yeux rougeoyants au dessus d'une grosse armoire à moitié effondrée.
« - De retour au bercail ? L'âge te rendrait-il sentimental ? »
Un rictus moqueur écarta légèrement les lèvres du démoniste tandis qu'il s'affalait sur son fauteuil, et jetait à l'apparition un regard dans lequel brillait une légère lueur d'amusement.
« - L'âge est la cause de beaucoup de choses désagréables. Le déclin de la condition physique et mentale, l'aigreur, l'impuissance même. Mais il rend rarement les gens plus vertueux... Zila. »
Un rire froid comme la mort s'échappa de la créature, quelle qu'elle puisse être.
« - Parce que le sentimentalisme est une vertu à tes yeux, désormais ? Peut-être avais-je surestimé ta santé mentale.
- Tu t'es toujours accordé beaucoup trop d'importance. Je ne suis pas venu débattre de ces choses avec toi. De ces choses, ni d'aucune autre.
- Non, bien entendu, reprit la voix, narquoise. Tu es venu te lamenter dans ce qui fait ta faiblesse. Regarde toi, Aschmédaï ! Regarde le gâchis sans nom que représente ta seule existence ! Tu aurais pu devenir le plus puissant occultiste qu'Azeroth aie porté ces mille dernières années ! Et peux-tu me dire quelle voie tu as choisi à la place ? Celle d'un vulgaire vagabond vivant de rapines et d'expédients, d'alcool et de filles faciles.
- La flatterie ne prend pas.
- Ah ! Alors veux-tu que nous parlions de tes nouveaux compagnons ? De cette bande de drôles et de bouffons auxquels tu as prêté allégeance ? Ouvre les yeux, petit imbécile ! Ils n'hésiteront pas un seul instant à se débarrasser de toi. A bien choisir, tu aurais encore mieux fait de continuer à profiter de la stupidité des écarlates... »
La main du démoniste se détendit brusquement tandis qu'il se levait dans un même mouvement fluide. L'air siffla et grésilla lorsqu'une boule de flammes vertes traversa la pièce pour aller exploser au dessus de l'armoire en une myriade d'étincelles, qui laissèrent derrière elle une abominable odeur de souffre et une trace noire et calcinée sur le bois humide des poutres. Les traits du visage d'Aschmédaï, plissés en une expression haineuse, se détendirent peu à peu et il se rassit, époussetant d'un geste agacé la main de sa robe sur laquelle dansaient encore quelques flammèches de gangrefeu. Dans cette profession, ceux qui se laissaient aller à la colère faisaient rarement de vieux os tant la magie employée était instable... Mais au moins avait-il gagné quelques secondes de répit.
Aussi reprit-il son impassibilité coutumière lorsque la voix narquoise l'interpella d'un autre coin de la pièce. L'ombre aux yeux rougeoyants était cette fois juchée dans l'ombre du conduit de cheminée.
« - Oui, libère la... Ta haine, ta rancœur, tous tes sentiments les plus noirs ! Conjure les flammes du néant distordu, et réduis ces terres en cendres ! N'est-ce pas tout ce à quoi tu aspires ? Emporter les autres avec toi dans la tombe... C'est la seule façon que tu trouveras jamais pour briser la malédiction et ne pas finir seul ! Car seul, tu l'as toujours été, Aschmédaï... Et tu le seras jusqu'à ton dernier soupir. »
Sans mot dire, il se leva, projetant le fauteuil au sol, et tituba jusqu'à la sortie avant de se précipiter à l'extérieur où de grosses gouttes de pluie s'écrasèrent aussitôt sur son visage. Derrière lui retentit une dernière fois l'éclat du rire moqueur d'un fantôme, ainsi que l'énoncé de la première des nombreuses leçons de la Voie du Pouvoir :
Nous ne sommes pas si différents de ce que nous nous complaisons à détruire.
Aschmédaï- Ensorceleur
- Messages : 255
Date d'inscription : 19/12/2010
Re: [BG] L'enfer peut attendre, mais jamais assez longtemps.
II. Origines
Il n'y a pas d'amour heureux, se plaira à dire le poète. Il n'y a pas d'amour sans profit, répondra l'homme pragmatique. Il n'y a pas d'amour sans désir, mais il peut y avoir du désir sans amour, conclura le cynique.
J'ignore de quel amour mon père et ma mère s'aimaient, ni même s'ils se sont jamais réellement aimés. Lui, Terrag le Noir, éminent démoniste du Conseil des Ombres, et elle, Jezebel la Rouge, vulgaire voyante de la Foire de Sombrelune. Le Noir était un titre prestigieux désignant celui qui, à l'automne de sa vie, commandait aux puissances des Ténèbres ; la Rouge n'était qu'un sobriquet gentiment moqueur désignant l'abondante et soyeuse chevelure rousse d'une jeune femme qui, à la fin du printemps de la sienne, suscitait la convoitise de bien des hommes. D'aucuns prétendront que ce simple fait aurait pu suffire pour que les chemins de ces deux là viennent à se croiser tôt ou tard ; lui, grand amateur des plaisirs de la chair, et elle, gitane volage aux yeux de laquelle vendre son corps contre une pièce d'or n'était pas plus avilissant que de lire les lignes de la main.
Mais là n'était pas la principale raison. Terrag, en dépit de tout son pouvoir profane, savait que la seule loi immuable est que rien n'est éternel, tout finit par disparaître. Certes, les plus habiles nécromanciens parviennent à tromper la mort, mais toujours au prix de ce qui fait leur humanité, qu'il s'agisse de leur enveloppe corporelle ou bien de leur santé mentale. L'ambitieux démoniste ne consentait à aucun sacrifice : au terme de longues recherches, il avait découvert le pouvoir mystérieux et maudit d'une dague très ancienne qui était arrivée par quelque facétie du destin en sa possession, et reconstitué le rituel qui lui conférerait de nouveau jeunesse et vitalité sans altérer son Essence. Mais pour cela, une autre composante bien particulière lui était nécessaire : le cœur d'un descendant mâle de son sang. Aussi cherchait-il désormais plus qu'une vulgaire compagne pour réchauffer ses nuits ; il voulait qu'une femme consente à lui donner un fils fort et vaillant, dont l'énergie vitale lui garantirait de nombreuses années de vie supplémentaire.
Or, au terme d'une nuit de passion débridée, Jezebel, victime d'une brusque transe, lui fit une sinistre prédiction : elle allait bien lui donner l'enfant convoité... Mais avant même d'atteindre sa majorité, l'enfant se retournerait contre lui, et le tuerait. La colère du démoniste fut terrible et aveugle. Sa majorité ?! Cet enfant ne vivrait même pas le temps d'une saison, l'unique but de son existence était de mener à bien le rituel ! Rendu à moitié fou par les drogues qu'il avait consommé à outrance comme à chaque fois qu'il s'adonnait à la luxure, il s'en prit sans retenue à la femme qu'il avait traité comme une princesse jusqu'alors afin qu'elle exauce son désir. Il l'enchaina, la battit et la tortura avec un tisonnier, allant jusqu'à mutiler son beau visage. Puis, épuisé par cet accès de rage irraisonné, il se retira dans ses quartiers protégés par de puissants glyphes de garde, où il s'enfonça dans un sommeil comateux, laissant la suppliciée à la garde de Nazantia, une succube qu'il avait asservi.
Bien mal lui en prit, car de tous les démons, les succubes sont certainement les plus indignes de confiance et les plus prompts à profiter du moindre instant de faiblesse pour vous trahir. Bien qu'elle ne pouvait attenter directement à la vie de son sombre maître ni faire quoi que ce soit pour briser le pacte qui la liait à lui, Nazantia n'aspirait qu'à recouvrer sa liberté, et à défaut, nuire à celui qui avait l'impudence de penser pouvoir la dominer. Amusée par la souffrance de Jezebel, et agréablement surprise par la haine qui couvait dans le cœur de la jeune femme blessée et humiliée, la démone lui proposa un pacte : en échange de sa liberté et donc d'une chance de se venger de ce que Terrag lui avait fait subir, Jezebel lui livrerait chaque année l'âme pure d'un mari dévoué et fidèle, et ce jusqu'à la fin de ses jours. Pour qu'elle puisse honorer les termes de ce contrat impie et en tant que présent supplémentaire, la succube lancerait un puissant envoutement à la jeune femme afin de dissimuler ses balafres sous le couvert d'une illusion, et de lui rendre sa beauté perdue.
Jezebel accepta le pacte. Nazantia la débarrassa de ses chaines, et au petit matin, Terrag ne put que hurler sa frustration en découvrant que sa prisonnière avait disparu... Et qu'en plus de l'enfant qu'elle portait en son sein, elle avait également emporté l'inestimable dague nécessaire au rituel de transfert.
Le démoniste, aussi expérimenté fût-il, venait d'être victime de la deuxième leçon de la Voie du Pouvoir : peu importe l'efficacité avec laquelle on peut acquérir ce que l'on convoite, il est toujours bien plus aisé de le perdre.
Il n'y a pas d'amour heureux, se plaira à dire le poète. Il n'y a pas d'amour sans profit, répondra l'homme pragmatique. Il n'y a pas d'amour sans désir, mais il peut y avoir du désir sans amour, conclura le cynique.
J'ignore de quel amour mon père et ma mère s'aimaient, ni même s'ils se sont jamais réellement aimés. Lui, Terrag le Noir, éminent démoniste du Conseil des Ombres, et elle, Jezebel la Rouge, vulgaire voyante de la Foire de Sombrelune. Le Noir était un titre prestigieux désignant celui qui, à l'automne de sa vie, commandait aux puissances des Ténèbres ; la Rouge n'était qu'un sobriquet gentiment moqueur désignant l'abondante et soyeuse chevelure rousse d'une jeune femme qui, à la fin du printemps de la sienne, suscitait la convoitise de bien des hommes. D'aucuns prétendront que ce simple fait aurait pu suffire pour que les chemins de ces deux là viennent à se croiser tôt ou tard ; lui, grand amateur des plaisirs de la chair, et elle, gitane volage aux yeux de laquelle vendre son corps contre une pièce d'or n'était pas plus avilissant que de lire les lignes de la main.
Mais là n'était pas la principale raison. Terrag, en dépit de tout son pouvoir profane, savait que la seule loi immuable est que rien n'est éternel, tout finit par disparaître. Certes, les plus habiles nécromanciens parviennent à tromper la mort, mais toujours au prix de ce qui fait leur humanité, qu'il s'agisse de leur enveloppe corporelle ou bien de leur santé mentale. L'ambitieux démoniste ne consentait à aucun sacrifice : au terme de longues recherches, il avait découvert le pouvoir mystérieux et maudit d'une dague très ancienne qui était arrivée par quelque facétie du destin en sa possession, et reconstitué le rituel qui lui conférerait de nouveau jeunesse et vitalité sans altérer son Essence. Mais pour cela, une autre composante bien particulière lui était nécessaire : le cœur d'un descendant mâle de son sang. Aussi cherchait-il désormais plus qu'une vulgaire compagne pour réchauffer ses nuits ; il voulait qu'une femme consente à lui donner un fils fort et vaillant, dont l'énergie vitale lui garantirait de nombreuses années de vie supplémentaire.
Or, au terme d'une nuit de passion débridée, Jezebel, victime d'une brusque transe, lui fit une sinistre prédiction : elle allait bien lui donner l'enfant convoité... Mais avant même d'atteindre sa majorité, l'enfant se retournerait contre lui, et le tuerait. La colère du démoniste fut terrible et aveugle. Sa majorité ?! Cet enfant ne vivrait même pas le temps d'une saison, l'unique but de son existence était de mener à bien le rituel ! Rendu à moitié fou par les drogues qu'il avait consommé à outrance comme à chaque fois qu'il s'adonnait à la luxure, il s'en prit sans retenue à la femme qu'il avait traité comme une princesse jusqu'alors afin qu'elle exauce son désir. Il l'enchaina, la battit et la tortura avec un tisonnier, allant jusqu'à mutiler son beau visage. Puis, épuisé par cet accès de rage irraisonné, il se retira dans ses quartiers protégés par de puissants glyphes de garde, où il s'enfonça dans un sommeil comateux, laissant la suppliciée à la garde de Nazantia, une succube qu'il avait asservi.
Bien mal lui en prit, car de tous les démons, les succubes sont certainement les plus indignes de confiance et les plus prompts à profiter du moindre instant de faiblesse pour vous trahir. Bien qu'elle ne pouvait attenter directement à la vie de son sombre maître ni faire quoi que ce soit pour briser le pacte qui la liait à lui, Nazantia n'aspirait qu'à recouvrer sa liberté, et à défaut, nuire à celui qui avait l'impudence de penser pouvoir la dominer. Amusée par la souffrance de Jezebel, et agréablement surprise par la haine qui couvait dans le cœur de la jeune femme blessée et humiliée, la démone lui proposa un pacte : en échange de sa liberté et donc d'une chance de se venger de ce que Terrag lui avait fait subir, Jezebel lui livrerait chaque année l'âme pure d'un mari dévoué et fidèle, et ce jusqu'à la fin de ses jours. Pour qu'elle puisse honorer les termes de ce contrat impie et en tant que présent supplémentaire, la succube lancerait un puissant envoutement à la jeune femme afin de dissimuler ses balafres sous le couvert d'une illusion, et de lui rendre sa beauté perdue.
Jezebel accepta le pacte. Nazantia la débarrassa de ses chaines, et au petit matin, Terrag ne put que hurler sa frustration en découvrant que sa prisonnière avait disparu... Et qu'en plus de l'enfant qu'elle portait en son sein, elle avait également emporté l'inestimable dague nécessaire au rituel de transfert.
Le démoniste, aussi expérimenté fût-il, venait d'être victime de la deuxième leçon de la Voie du Pouvoir : peu importe l'efficacité avec laquelle on peut acquérir ce que l'on convoite, il est toujours bien plus aisé de le perdre.
Aschmédaï- Ensorceleur
- Messages : 255
Date d'inscription : 19/12/2010
Re: [BG] L'enfer peut attendre, mais jamais assez longtemps.
III. Mentor
Si vous en êtes arrivé à ce stade de l'histoire, vous aurez peut être compris que cet enfant à venir, fils de Terrag le Noir et de Jezebel la Rouge, n'était autre que votre humble serviteur. Et vous aurez également conclu, de cet impressionnant esprit de déduction qu'est le vôtre, que si je suis en train de raconter cette histoire, c'est que j'ai survécu à la vengeance de mon père... Ce à quoi je vous répondrais simplement... De ne pas vous croire plus malin que vous ne l'êtes vraiment. Mais reprenons...
Enceinte, Jezebel fuit par delà la mer, aussi loin qu'il lui était possible de la rancune de son cruel amant. Elle finit par trouver refuge en Gilnéas, alors même que le royaume se refermait peu à peu sur lui même, sous le coup de l'étrange malédiction qui le frappait. Là, elle usa de son charme et de sa débrouillardise pour en franchir les murailles, et s'établit discrètement en bordure d'une épaisse forêt.
C'est là, loin de tout, que je vins au Monde. Contre toute attente, Jezebel se révéla être une tutrice aimante et responsable, du moins durant les premières années de ma vie. Elle me donna le nom d'Aschmédaï en référence à une histoire qu'elle avait lu dans un vieux traité de Démonologie ; la racine de ce nom signifie quelque chose comme « Le Souffle Ardent de la Divinité ». Si vous me demandez mon avis, c'est peut-être un tantinet prétentieux, mais surement fallait-il juste y voir une allégorie quant au fait que mes cheveux étaient colorés du même feu que ceux de ma génitrice.
Alors que j'atteignais à peine mes huit printemps, prétextant subitement qu'elle n'avait plus guère le temps de s'occuper de moi, elle m'inscrivit dans une école ésotérique connue sous le nom de Confrérie des Arcanes. J'étais trop jeune pour considérer toutes ces subtilités, mais en réalité Jezebel menait un train de vie infernal au sein de la noblesse Gilnéenne. Elle avait humilié nombre de riches et puissantes matrones en détournant leurs maris de leurs couches, profitait largement des présents et richesses dont ils couvraient cette maîtresse dépensière, et comble de l'insolence et du succès, parvenait même à faire inculper les épouses jalouses lorsque leur mari venait à disparaître. Car toujours, à la fin, la succube Nazantia réclamait son dû : la vie et l'âme des hommes que ma mère dévoyait... A raison d'un par an.
Mais même si je ne devais plus voir la femme qui m'avait élevé, je n'avais guère matière à me plaindre car c'est dans la Confrérie que je rencontrais celui qui scellerait mon destin : le Mage Sorcier du Premier Ordre Marius Givréclat. Mon maître, mon mentor... Et celui que je viendrais un jour à considérer comme le père que je n'avais jamais eu. Pourtant, notre première rencontre ne fut pas placée sous les meilleurs auspices qui soient. Nos caractères divergeaient autant que le peuvent la glace et le feu. Pour reprendre ses propres mots, j'étais un enfant impulsif, colérique, exigeant, vaniteux, impatient et incapable de conserver ma concentration plus de trente secondes d'affilée. Et à mes yeux de sale petit morveux insolent, Marius était calme, posé, silencieux, humble, réfléchi et capable de rester immobile devant un pentacle d'invocation pendant des heures... C'est à dire mortellement ennuyeux. En temps normal, il n'aurait d'ailleurs jamais du jeter son dévolu sur moi ; mais il cherchait justement un apprenti, me découvrit une affinité naturelle avec la magie ardente, et ne me laissa guère le choix, si bien que personne n'eut rien à redire dans cette affaire.
De toutes les années que j'ai passé en sa compagnie, je n'ai que trop peu de souvenirs. Il paraît que le temps, ce chien ingrat, s'enfuit très rapidement lorsque l'on connait ce sentiment étrange que d'aucuns nomment « quiétude ». Bien des années plus tard, je me remémore juste cette discussion qui me paraît aujourd'hui irréelle, alors que je filais vers mes quatorze ans. Bien que je fus libre d'arpenter comme bon me semblait la demeure de mon maître, et que j'avais accès à la vaste bibliothèque remplie d'ouvrages très anciens, au laboratoire d'herboristerie et même au conservatoire dans lequel un golem arcanique veillait sur d'anciens et inestimables artefacts, il y avait une lourde porte de chêne massif recouverte de runes scintillantes dont mon mentor m'avait formellement interdit de m'approcher. Malheureusement, il commit deux grossières erreurs au cours de ma formation : la première fut de m'enseigner tous les secrets des runes, et de le faire consciencieusement. La seconde fut de sous estimer mon incorrigible besoin de contrevenir à tout semblant d'autorité...
Si bien que je finis par ouvrir cette porte, ce qui me prit un après midi tout entier pour en déjouer les protections, ce que je fis sans même prendre la peine de songer au temps qu'il me faudrait pour les remettre en état afin que mon mentor ne se doute de rien. Mon forfait accompli, je pénétrais dans la salle en conquérant... Pour y découvrir un bien étrange spectacle.
Au beau milieu d'une pièce parfaitement circulaire, à l'air glacial et sec, se trouvait une estrade sur laquelle ce qui s'apparentait à une sphère de glace scintillait de mille feux. L'objet, en lévitation, pulsait doucement en irradiant une douce lueur bleutée, et semblait être à l'origine du froid qui régnait dans la salle. Je me suis arrêté pour contempler l'artefact, dévoré par la curiosité, cherchant à en déterminer l'origine... Et j'ai sursauté lorsque la main de mon maître s'est posée sur mon épaule.
Marius s'était approché dans mon dos sans que je ne l'entende. Je me suis retourné et il m'a lancé un regard neutre, son visage demeurant impénétrable. J'ai frissonné instinctivement, croyant ma dernière heure venue... Marius avait beau être d'une patience à toute épreuve, il était aussi connu pour être totalement dépourvu de clémence envers les élèves contrevenant aux règles. Mais alors que je m'attendais à être réduit en bloc de glace, il se contenta de fixer son regard toujours aussi impassible sur l'étrange artefact.
« - Qu'est-ce donc ?... » finis-je par demander d'un ton mal assuré, tachant de me rendre une contenance.
Mon maître haussa un sourcil comme si la question le rendait lui même dubitatif... Et répondit à ma question par une autre question.
« - As tu déjà réfléchi à ce que différencie le feu et la glace, Aschmédaï ? »
Je plissais les sourcils.
« - La température ?... » me risquais-je.
Il hocha la tête et m'adressa un sourire. Un sourire ! Marius avait souri. Une première, de mémoire d'homme.
« - Que tu es pragmatique, mon garçon. C'est là une réponse de savant, et c'est une réponse de philosophe que j'attendais. »
Mon regard dubitatif alla encore en s'accentuant. Par moments, Marius parlait par énigmes, et je n'y entendais rien. Mais cette fois, il se surpassait. Impassible, il finit par reprendre.
« - Je parle des deux forces qui régissent l'univers et soutiennent celui ci dans un équilibre délicat. Le feu et la glace en sont une manifestation, mais il y en a bien d'autres. La lumière et l'ombre. La vie et la mort. Le masculin et le féminin. Le plaisir et la souffrance. L'amour et la haine. La passion et la raison... Toute chose a son parfait opposé.»
Je fis un sourire stupide. C'était de pire en pire. Je ne voyais absolument pas de quoi il voulait parler.
« - Est-ce un test ? Je crains avoir omis de réviser cette matière. Je devais somnoler pendant votre cours magistral. » grommelais-je avec toute mon insolence coutumière.
Il fit quelques pas et alla se placer devant la sphère de glace.
« - Ceci, mon garçon, n'est autre que le témoignage d'une ambition impossible, que j'ai nommé le Coeur de Glace. J'ai consacré la majeure partie de ma vie à rechercher la perfection, en pensant que celle-ci était un extrême... Alors qu'en réalité, la perfection est équilibre. Je ne pouvais donc d'avantage m'en éloigner. »
Je clignais des yeux, incrédule, observant l'étrange artefact quelques instants avant de reporter mon attention sur mon mentor. Je venais de réaliser qu'un très léger battement était perceptible à chacune des pulsations du Coeur...
« - Cette chose... Est vivante ? M'écriais-je. Mais qui diable aurait besoin d'un tel cœur ?! »
Marius opina du chef et poussa un long soupir.
« - A l'origine, je l'avais conçu pour moi. Je considérais notre cœur de chair, dans sa fragilité, comme une imperfection... Et la souffrance comme une faiblesse. Je voulais sublimer jusqu'à ma nature même, me rapprocher de l'impassibilité de l'élément avec lequel j'ai toujours éprouvé une affinité. Puis j'ai réalisé tout ce que cela impliquait... »
Je me contentais de hausser les épaules, perplexe.
« - J'avoue que j'ai du mal à saisir en quoi le fait de ne plus souffrir pourrait être une tare. »
Le regard de mon mentor se fit sévère.
« - Parce que souffrir te permet aussi de ressentir de la compassion pour ceux qui souffrent. Parce que sans souffrance, il n'y a pas de plaisir. Et parce que sans souffrance, l'équilibre est rompu. »
Je marquais un silence à mon tour. Puis finalement, me grattais la tempe.
« - Vous êtes un grand malade, maître. J'ai déjà du vous le dire... Mais je tenais à le répéter. »
Il leva la main vers moi, et l'espace d'un instant, je crus que j'allais ramasser une baffe bien méritée. Mais il n'en fit rien. Au lieu de cela, du givre s'était cristallisé dans sa paume pour former les délicats contours d'une rose qu'il me tendit. Je m'emparais de l'objet d'un air dubitatif.
« - Les femmes adorent ce vieux truc. Tu devrais essayer un jour. » se contenta-t-il de me dire avec un clin d'œil espiègle.
J'en restais bouche bée quelques instants. Puis je jetais la rose de glace au sol et la foulais du pied, sous ses yeux impassibles.
« - C'est de la merde, votre truc ! Quel genre de demeuré pourrait perdre son temps avec ce genre de tour de foire ?! Et puis n'oubliez pas que j'ai justement une affinité avec la magie opposée ! »
Il se contenta de hausser les épaules.
« - Rien ne t'empêche de faire une rose de feu. »
Je roulais de grands yeux et m'énervais d'avantage encore.
« Quoi ?! Mais c'est impossible ! Le feu ne dure pas, il consume et disparaît sans laisser de traces... C'est sa nature... »
Ce à quoi il opina du chef, un mince sourire aux lèvres.
« - Tu vois, mon garçon... Tu viens de reconnaitre que toute chose a son utilité. Que tu le crois ou pas, nous avons tous un rôle à tenir ; la quête de ta vie sera peut-être de découvrir le tien. Tâche de t'en souvenir lorsque tout te semblera devenu dénué d'intérêt. »
Je fis signe que non de la tête, n'entendant rien à son charabia. Il me désigna la rose de glace, brisée et déjà moitié fondue, qui gisait à mes pieds, et sourit une dernière fois avant de s'en retourner à ses études.
« - Ah, et une dernière chose... Je t'assure qu'aucune femme saine d'esprit ne voudra jamais tenir une rose de feu... Imbécile. »
Je l'ignorais encore, mais mon mentor venait, en ces paroles obscures, de m'enseigner la troisième leçon de la Voie du Pouvoir : « Toute chose en ce monde a son parfait opposé, mais l'on ne peut prétendre à la maîtrise de l'un sans avoir pleinement assimilé la nature de l'autre. »
Si vous en êtes arrivé à ce stade de l'histoire, vous aurez peut être compris que cet enfant à venir, fils de Terrag le Noir et de Jezebel la Rouge, n'était autre que votre humble serviteur. Et vous aurez également conclu, de cet impressionnant esprit de déduction qu'est le vôtre, que si je suis en train de raconter cette histoire, c'est que j'ai survécu à la vengeance de mon père... Ce à quoi je vous répondrais simplement... De ne pas vous croire plus malin que vous ne l'êtes vraiment. Mais reprenons...
Enceinte, Jezebel fuit par delà la mer, aussi loin qu'il lui était possible de la rancune de son cruel amant. Elle finit par trouver refuge en Gilnéas, alors même que le royaume se refermait peu à peu sur lui même, sous le coup de l'étrange malédiction qui le frappait. Là, elle usa de son charme et de sa débrouillardise pour en franchir les murailles, et s'établit discrètement en bordure d'une épaisse forêt.
C'est là, loin de tout, que je vins au Monde. Contre toute attente, Jezebel se révéla être une tutrice aimante et responsable, du moins durant les premières années de ma vie. Elle me donna le nom d'Aschmédaï en référence à une histoire qu'elle avait lu dans un vieux traité de Démonologie ; la racine de ce nom signifie quelque chose comme « Le Souffle Ardent de la Divinité ». Si vous me demandez mon avis, c'est peut-être un tantinet prétentieux, mais surement fallait-il juste y voir une allégorie quant au fait que mes cheveux étaient colorés du même feu que ceux de ma génitrice.
Alors que j'atteignais à peine mes huit printemps, prétextant subitement qu'elle n'avait plus guère le temps de s'occuper de moi, elle m'inscrivit dans une école ésotérique connue sous le nom de Confrérie des Arcanes. J'étais trop jeune pour considérer toutes ces subtilités, mais en réalité Jezebel menait un train de vie infernal au sein de la noblesse Gilnéenne. Elle avait humilié nombre de riches et puissantes matrones en détournant leurs maris de leurs couches, profitait largement des présents et richesses dont ils couvraient cette maîtresse dépensière, et comble de l'insolence et du succès, parvenait même à faire inculper les épouses jalouses lorsque leur mari venait à disparaître. Car toujours, à la fin, la succube Nazantia réclamait son dû : la vie et l'âme des hommes que ma mère dévoyait... A raison d'un par an.
Mais même si je ne devais plus voir la femme qui m'avait élevé, je n'avais guère matière à me plaindre car c'est dans la Confrérie que je rencontrais celui qui scellerait mon destin : le Mage Sorcier du Premier Ordre Marius Givréclat. Mon maître, mon mentor... Et celui que je viendrais un jour à considérer comme le père que je n'avais jamais eu. Pourtant, notre première rencontre ne fut pas placée sous les meilleurs auspices qui soient. Nos caractères divergeaient autant que le peuvent la glace et le feu. Pour reprendre ses propres mots, j'étais un enfant impulsif, colérique, exigeant, vaniteux, impatient et incapable de conserver ma concentration plus de trente secondes d'affilée. Et à mes yeux de sale petit morveux insolent, Marius était calme, posé, silencieux, humble, réfléchi et capable de rester immobile devant un pentacle d'invocation pendant des heures... C'est à dire mortellement ennuyeux. En temps normal, il n'aurait d'ailleurs jamais du jeter son dévolu sur moi ; mais il cherchait justement un apprenti, me découvrit une affinité naturelle avec la magie ardente, et ne me laissa guère le choix, si bien que personne n'eut rien à redire dans cette affaire.
De toutes les années que j'ai passé en sa compagnie, je n'ai que trop peu de souvenirs. Il paraît que le temps, ce chien ingrat, s'enfuit très rapidement lorsque l'on connait ce sentiment étrange que d'aucuns nomment « quiétude ». Bien des années plus tard, je me remémore juste cette discussion qui me paraît aujourd'hui irréelle, alors que je filais vers mes quatorze ans. Bien que je fus libre d'arpenter comme bon me semblait la demeure de mon maître, et que j'avais accès à la vaste bibliothèque remplie d'ouvrages très anciens, au laboratoire d'herboristerie et même au conservatoire dans lequel un golem arcanique veillait sur d'anciens et inestimables artefacts, il y avait une lourde porte de chêne massif recouverte de runes scintillantes dont mon mentor m'avait formellement interdit de m'approcher. Malheureusement, il commit deux grossières erreurs au cours de ma formation : la première fut de m'enseigner tous les secrets des runes, et de le faire consciencieusement. La seconde fut de sous estimer mon incorrigible besoin de contrevenir à tout semblant d'autorité...
Si bien que je finis par ouvrir cette porte, ce qui me prit un après midi tout entier pour en déjouer les protections, ce que je fis sans même prendre la peine de songer au temps qu'il me faudrait pour les remettre en état afin que mon mentor ne se doute de rien. Mon forfait accompli, je pénétrais dans la salle en conquérant... Pour y découvrir un bien étrange spectacle.
Au beau milieu d'une pièce parfaitement circulaire, à l'air glacial et sec, se trouvait une estrade sur laquelle ce qui s'apparentait à une sphère de glace scintillait de mille feux. L'objet, en lévitation, pulsait doucement en irradiant une douce lueur bleutée, et semblait être à l'origine du froid qui régnait dans la salle. Je me suis arrêté pour contempler l'artefact, dévoré par la curiosité, cherchant à en déterminer l'origine... Et j'ai sursauté lorsque la main de mon maître s'est posée sur mon épaule.
Marius s'était approché dans mon dos sans que je ne l'entende. Je me suis retourné et il m'a lancé un regard neutre, son visage demeurant impénétrable. J'ai frissonné instinctivement, croyant ma dernière heure venue... Marius avait beau être d'une patience à toute épreuve, il était aussi connu pour être totalement dépourvu de clémence envers les élèves contrevenant aux règles. Mais alors que je m'attendais à être réduit en bloc de glace, il se contenta de fixer son regard toujours aussi impassible sur l'étrange artefact.
« - Qu'est-ce donc ?... » finis-je par demander d'un ton mal assuré, tachant de me rendre une contenance.
Mon maître haussa un sourcil comme si la question le rendait lui même dubitatif... Et répondit à ma question par une autre question.
« - As tu déjà réfléchi à ce que différencie le feu et la glace, Aschmédaï ? »
Je plissais les sourcils.
« - La température ?... » me risquais-je.
Il hocha la tête et m'adressa un sourire. Un sourire ! Marius avait souri. Une première, de mémoire d'homme.
« - Que tu es pragmatique, mon garçon. C'est là une réponse de savant, et c'est une réponse de philosophe que j'attendais. »
Mon regard dubitatif alla encore en s'accentuant. Par moments, Marius parlait par énigmes, et je n'y entendais rien. Mais cette fois, il se surpassait. Impassible, il finit par reprendre.
« - Je parle des deux forces qui régissent l'univers et soutiennent celui ci dans un équilibre délicat. Le feu et la glace en sont une manifestation, mais il y en a bien d'autres. La lumière et l'ombre. La vie et la mort. Le masculin et le féminin. Le plaisir et la souffrance. L'amour et la haine. La passion et la raison... Toute chose a son parfait opposé.»
Je fis un sourire stupide. C'était de pire en pire. Je ne voyais absolument pas de quoi il voulait parler.
« - Est-ce un test ? Je crains avoir omis de réviser cette matière. Je devais somnoler pendant votre cours magistral. » grommelais-je avec toute mon insolence coutumière.
Il fit quelques pas et alla se placer devant la sphère de glace.
« - Ceci, mon garçon, n'est autre que le témoignage d'une ambition impossible, que j'ai nommé le Coeur de Glace. J'ai consacré la majeure partie de ma vie à rechercher la perfection, en pensant que celle-ci était un extrême... Alors qu'en réalité, la perfection est équilibre. Je ne pouvais donc d'avantage m'en éloigner. »
Je clignais des yeux, incrédule, observant l'étrange artefact quelques instants avant de reporter mon attention sur mon mentor. Je venais de réaliser qu'un très léger battement était perceptible à chacune des pulsations du Coeur...
« - Cette chose... Est vivante ? M'écriais-je. Mais qui diable aurait besoin d'un tel cœur ?! »
Marius opina du chef et poussa un long soupir.
« - A l'origine, je l'avais conçu pour moi. Je considérais notre cœur de chair, dans sa fragilité, comme une imperfection... Et la souffrance comme une faiblesse. Je voulais sublimer jusqu'à ma nature même, me rapprocher de l'impassibilité de l'élément avec lequel j'ai toujours éprouvé une affinité. Puis j'ai réalisé tout ce que cela impliquait... »
Je me contentais de hausser les épaules, perplexe.
« - J'avoue que j'ai du mal à saisir en quoi le fait de ne plus souffrir pourrait être une tare. »
Le regard de mon mentor se fit sévère.
« - Parce que souffrir te permet aussi de ressentir de la compassion pour ceux qui souffrent. Parce que sans souffrance, il n'y a pas de plaisir. Et parce que sans souffrance, l'équilibre est rompu. »
Je marquais un silence à mon tour. Puis finalement, me grattais la tempe.
« - Vous êtes un grand malade, maître. J'ai déjà du vous le dire... Mais je tenais à le répéter. »
Il leva la main vers moi, et l'espace d'un instant, je crus que j'allais ramasser une baffe bien méritée. Mais il n'en fit rien. Au lieu de cela, du givre s'était cristallisé dans sa paume pour former les délicats contours d'une rose qu'il me tendit. Je m'emparais de l'objet d'un air dubitatif.
« - Les femmes adorent ce vieux truc. Tu devrais essayer un jour. » se contenta-t-il de me dire avec un clin d'œil espiègle.
J'en restais bouche bée quelques instants. Puis je jetais la rose de glace au sol et la foulais du pied, sous ses yeux impassibles.
« - C'est de la merde, votre truc ! Quel genre de demeuré pourrait perdre son temps avec ce genre de tour de foire ?! Et puis n'oubliez pas que j'ai justement une affinité avec la magie opposée ! »
Il se contenta de hausser les épaules.
« - Rien ne t'empêche de faire une rose de feu. »
Je roulais de grands yeux et m'énervais d'avantage encore.
« Quoi ?! Mais c'est impossible ! Le feu ne dure pas, il consume et disparaît sans laisser de traces... C'est sa nature... »
Ce à quoi il opina du chef, un mince sourire aux lèvres.
« - Tu vois, mon garçon... Tu viens de reconnaitre que toute chose a son utilité. Que tu le crois ou pas, nous avons tous un rôle à tenir ; la quête de ta vie sera peut-être de découvrir le tien. Tâche de t'en souvenir lorsque tout te semblera devenu dénué d'intérêt. »
Je fis signe que non de la tête, n'entendant rien à son charabia. Il me désigna la rose de glace, brisée et déjà moitié fondue, qui gisait à mes pieds, et sourit une dernière fois avant de s'en retourner à ses études.
« - Ah, et une dernière chose... Je t'assure qu'aucune femme saine d'esprit ne voudra jamais tenir une rose de feu... Imbécile. »
Je l'ignorais encore, mais mon mentor venait, en ces paroles obscures, de m'enseigner la troisième leçon de la Voie du Pouvoir : « Toute chose en ce monde a son parfait opposé, mais l'on ne peut prétendre à la maîtrise de l'un sans avoir pleinement assimilé la nature de l'autre. »
Aschmédaï- Ensorceleur
- Messages : 255
Date d'inscription : 19/12/2010
Re: [BG] L'enfer peut attendre, mais jamais assez longtemps.
IV. Déchéance
Quelques années passèrent encore... Je gagnais en pouvoir et en maîtrise. J'aimerais pouvoir dire en sagesse et en maturité, mais malheureusement, l'un ne va pas forcément avec l'autre.
L'année de mes dix sept ans, mes relations avec Marius atteignirent un nouveau niveau de tension, le pallier que je pourrais qualifier de "sans retour possible". Je passais avec brio les examens qui firent de moi un initié, un mage à part entière. Et alors que je pensais que cette nouvelle allait combler mon maître d'aise et de satisfaction... Ce ne fut pas le cas.
Marius fut le seul membre du Conseil de l'Université à s'opposer vivement à ce que je reçoive mon titre. Selon lui, je n'étais pas prêt. Il restait dans ma magie une part noire et obscure, un des aspects les plus sombres et destructeurs de ma personnalité qui nécessiterait encore bien des années de pratique avant d'être cerné et maîtrisé. Mais les autres membres du Conseil ignorèrent ses avertissements, arguant du fait que tout mage connaissait son lot d'insolence et d'égocentrisme, et que l'examen ne portait pas tant sur les qualités morales d'une personne que sur ses dispositions à pratiquer la magie, sans quoi personne ne le passerait certainement jamais...
Mon maître, fort de ses titres de doyen et de maître de la Confrérie, finit par arriver à un compromis en usant de toute son influence. Je deviendrais bien un Initié, mais je devrais rester à l'Académie où je continuerais d'étudier sous sa tutelle. Une décision que je pris excessivement mal alors que tous les autres Initiés étaient libres de s'en aller de par le Monde et d'officier en tant que mages indépendants, même si nombreux étaient ceux qui choisissaient de rester pour affiner leurs connaissances. Pour la première fois de ma vie, alors que j'y aspirais plus que tout... On ne me laissait pas le choix, et cette perspective me rendait réellement furieux.
Pour laisser libre court à mon amertume, je commençais à me défier des limites fixées par mon maître et par tester l'emprise qu'il exerçait sur moi. Continuant mes provocations en façade, j'ai saboté délibérément certaines de ses expériences d'alchimie, culbuté une apprentie au beau milieu des parchemins inestimables étalés sur la grande table de sa bibliothèque, et commis bien d'autres actes dont le seul but était de le pousser à bout... Cependant, Marius tenait bon. Chaque fois il me sermonnait, me punissait, et me chargeait de différentes corvées des plus ingrates, mais jamais il n'entra dans une colère noire comme j'essayais de l'y pousser... Peut-être car il ignorait qu'en cachette, je me livrais à des pratiques bien moins avouables... Jusqu'au jour où je franchis la ligne pour de bon, et que je me fis prendre.
Au cours de mes études, une de mes principales faiblesses avait toujours été une mauvaise perception de la trame complexe de la mana qui circulait en n'importe quel élément de notre Monde. N'importe quel mage devait être en mesure de percevoir la magie avec son cœur, tout comme un paladin ressentirait le mal émaner d'un être foncièrement mauvais ou qu'un druide percevrait un trouble dans l'équilibre naturel ; pour illustrer ce principe, un exercice très simple consistait à confier à un apprenti une bourse remplie d'une vingtaine de pièces d'argent et d'un vulgaire bout de métal enchanté à l'aide d'un sortilège simple pour avoir lui aussi l'aspect d'une pièce. On considérait que l'apprenti maitrisait la perception de la mana lorsqu'il était capable, en gardant les yeux clos, de déterminer laquelle des pièces était fausse avec un taux de réussite de cent pour cent.
Inutile de vous préciser que j'avais une sainte horreur de cet exercice et que la plupart du temps, je me contentais d'attendre que l'instructeur regarde ailleurs pour lui fausser compagnie en gardant la bourse.
Malgré tout, rester sur cet aveu d'échec m'avait toujours frustré et mon maître n'avait de cesse de me répéter que je ferais mieux de consacrer mon temps libre à m'y entrainer plutôt que de m'intéresser à ce que mes cadettes cachaient sous leurs robes, et je m'étais bien entendu toujours fait un devoir de ne pas l'écouter, esprit de contradiction oblige. Si bien qu'un jour, alors que Marius s'était absenté, je sortis le très ancien traité de démonologie que je m'étais procuré auprès d'un marchand de passage. J'avais déjà pratiqué nombre des rituels mineurs qui y figuraient : gagner en force et en vigueur durant quelques heures au prix d'une fatigue accrue durant la journée suivante - un exercice qui avait particulièrement satisfait certaines de mes cadettes -, entrer en communication avec un démon savant après avoir tracé un pentagramme avec du sang frais trouvé en cuisine, et d'autres petits tours sans prétention... Mais cette fois, oui cette fois, je visais bien plus haut.
J'allais aller directement à l'encontre de la quatrième leçon de la Voie du Pouvoir et cette perspective me faisait frissonner à la fois d'appréhension mais aussi de plaisir brut. L'adrénaline propre au fait de braver l'interdit... Existait-il quelque chose de plus savoureux en ce Monde ou dans un autre ?
Je me souviens de chaque sensation. Le froid sur ma peau nue alors que je me tenais, dans le plus simple appareil, devant l'autel de pierre froide sur lequel j'avais réuni quatre chandelles de cire noire. Après les avoir allumées l'une après l'autre en psalmodiant les incantations que j'avais longuement appris jusqu'à les connaître par cœur, je recueillis un peu de la cire qui coulait au centre du bout du doigt et la passais sur mon visage, observant mon reflet dans l'eau d'une coupole.
Il ne me fallut que quelques minutes pour tracer autour de mes yeux les entrelacs complexes que j'avais pu observer à loisir dans le grimoire. J'étais assez fier du résultat ; tous ces imbéciles qui me reprochaient mon manque de rigueur l'auraient aussi certainement été, pour peu qu'ils n'aient pas été retenus d'étudier cette forme de la magie sous couvert d'une ridicule étroitesse d'esprit matinée d'une bonne dose de couardise !
Aussi ai-je réellement commencé à déchanter lorsqu'au terme d'une nouvelle incantation, les motifs de cire noire se sont animés d'une vie propre et ont commencé à... Courir sur ma peau. Indifférents à mes efforts pour essayer de les retenir du bout des doigts, ils se sont glissés sous mes paupières, et je me suis mis à hurler comme si l'on me plongeait une paire de tisonniers ardents dans les globes oculaires. J'ai tourné sur moi même et balayé les meubles de grands revers de bras en appelant à l'aide, rendu fou de douleur, mais personne n'est venu. Finalement, j'ai fini par me heurter à un mur de pierre lors de ma fuite éperdue et aveugle, et j'ai sombré dans l'inconscience, assommé, nu, et le visage ensanglanté...
Lorsque je suis revenu à moi, le visage de Marius me surplombait, impénétrable. Ses yeux gris me toisaient avec un mélange de désapprobation et d'indignation, et si j'y avais prêté attention, j'aurais pu me rendre compte qu'il tremblait de colère et serrait les poings à s'en faire blanchir les jointures. Mais j'étais trop concentré sur l'étrange aura blanche et aveuglante qui enveloppait mon maître pour m'en rendre compte. Alors, le rituel avait bien fonctionné ?!...
Pas le temps de répondre à cette question. Le pied de Marius s'enfonça dans mes cotes. Une fois, deux fois, trois fois...
"Espèce de sale petit imbécile prétentieux et arrogant ! Je n'aurais jamais pensé que tu puisses être aussi stupide, Aschmédaï ! Jamais ! Tu m'as étonné à de nombreuses reprises, mais cette fois-ci, c'est la dernière ! Tu m'entends ?! La dernière !"
Pris sous ce déluge de coups de pieds et encore hagard, je ne pouvais que me recroqueviller en grognant, tentant tant bien que mal de me protéger en repliant mes bras le long de mon corps. Peut-être que je dus ma survie aux serviteurs de passage qui, alertés par le vacarme, vinrent retenir mon maître et l'empêcher de me massacrer.
En tout cas... Mes vœux s'étaient réalisés. Je pus y réfléchir à loisir durant la semaine qui suivit, affalé dans une chambre d'auberge, réfugié dans une obscurité protectrice, essayant de m'accoutumer aux myriades de lumières que percevaient ces nouveaux yeux d'un vert étrange en présence de la moindre étincelle de magie, dont notre Monde était saturé par ailleurs...
J'avais été renié. J'étais libre de faire ce que je voulais désormais.
La quatrième leçon ? Elle dit "ne fais jamais rien que tu ne puisses défaire".
Quelques années passèrent encore... Je gagnais en pouvoir et en maîtrise. J'aimerais pouvoir dire en sagesse et en maturité, mais malheureusement, l'un ne va pas forcément avec l'autre.
L'année de mes dix sept ans, mes relations avec Marius atteignirent un nouveau niveau de tension, le pallier que je pourrais qualifier de "sans retour possible". Je passais avec brio les examens qui firent de moi un initié, un mage à part entière. Et alors que je pensais que cette nouvelle allait combler mon maître d'aise et de satisfaction... Ce ne fut pas le cas.
Marius fut le seul membre du Conseil de l'Université à s'opposer vivement à ce que je reçoive mon titre. Selon lui, je n'étais pas prêt. Il restait dans ma magie une part noire et obscure, un des aspects les plus sombres et destructeurs de ma personnalité qui nécessiterait encore bien des années de pratique avant d'être cerné et maîtrisé. Mais les autres membres du Conseil ignorèrent ses avertissements, arguant du fait que tout mage connaissait son lot d'insolence et d'égocentrisme, et que l'examen ne portait pas tant sur les qualités morales d'une personne que sur ses dispositions à pratiquer la magie, sans quoi personne ne le passerait certainement jamais...
Mon maître, fort de ses titres de doyen et de maître de la Confrérie, finit par arriver à un compromis en usant de toute son influence. Je deviendrais bien un Initié, mais je devrais rester à l'Académie où je continuerais d'étudier sous sa tutelle. Une décision que je pris excessivement mal alors que tous les autres Initiés étaient libres de s'en aller de par le Monde et d'officier en tant que mages indépendants, même si nombreux étaient ceux qui choisissaient de rester pour affiner leurs connaissances. Pour la première fois de ma vie, alors que j'y aspirais plus que tout... On ne me laissait pas le choix, et cette perspective me rendait réellement furieux.
Pour laisser libre court à mon amertume, je commençais à me défier des limites fixées par mon maître et par tester l'emprise qu'il exerçait sur moi. Continuant mes provocations en façade, j'ai saboté délibérément certaines de ses expériences d'alchimie, culbuté une apprentie au beau milieu des parchemins inestimables étalés sur la grande table de sa bibliothèque, et commis bien d'autres actes dont le seul but était de le pousser à bout... Cependant, Marius tenait bon. Chaque fois il me sermonnait, me punissait, et me chargeait de différentes corvées des plus ingrates, mais jamais il n'entra dans une colère noire comme j'essayais de l'y pousser... Peut-être car il ignorait qu'en cachette, je me livrais à des pratiques bien moins avouables... Jusqu'au jour où je franchis la ligne pour de bon, et que je me fis prendre.
Au cours de mes études, une de mes principales faiblesses avait toujours été une mauvaise perception de la trame complexe de la mana qui circulait en n'importe quel élément de notre Monde. N'importe quel mage devait être en mesure de percevoir la magie avec son cœur, tout comme un paladin ressentirait le mal émaner d'un être foncièrement mauvais ou qu'un druide percevrait un trouble dans l'équilibre naturel ; pour illustrer ce principe, un exercice très simple consistait à confier à un apprenti une bourse remplie d'une vingtaine de pièces d'argent et d'un vulgaire bout de métal enchanté à l'aide d'un sortilège simple pour avoir lui aussi l'aspect d'une pièce. On considérait que l'apprenti maitrisait la perception de la mana lorsqu'il était capable, en gardant les yeux clos, de déterminer laquelle des pièces était fausse avec un taux de réussite de cent pour cent.
Inutile de vous préciser que j'avais une sainte horreur de cet exercice et que la plupart du temps, je me contentais d'attendre que l'instructeur regarde ailleurs pour lui fausser compagnie en gardant la bourse.
Malgré tout, rester sur cet aveu d'échec m'avait toujours frustré et mon maître n'avait de cesse de me répéter que je ferais mieux de consacrer mon temps libre à m'y entrainer plutôt que de m'intéresser à ce que mes cadettes cachaient sous leurs robes, et je m'étais bien entendu toujours fait un devoir de ne pas l'écouter, esprit de contradiction oblige. Si bien qu'un jour, alors que Marius s'était absenté, je sortis le très ancien traité de démonologie que je m'étais procuré auprès d'un marchand de passage. J'avais déjà pratiqué nombre des rituels mineurs qui y figuraient : gagner en force et en vigueur durant quelques heures au prix d'une fatigue accrue durant la journée suivante - un exercice qui avait particulièrement satisfait certaines de mes cadettes -, entrer en communication avec un démon savant après avoir tracé un pentagramme avec du sang frais trouvé en cuisine, et d'autres petits tours sans prétention... Mais cette fois, oui cette fois, je visais bien plus haut.
J'allais aller directement à l'encontre de la quatrième leçon de la Voie du Pouvoir et cette perspective me faisait frissonner à la fois d'appréhension mais aussi de plaisir brut. L'adrénaline propre au fait de braver l'interdit... Existait-il quelque chose de plus savoureux en ce Monde ou dans un autre ?
Je me souviens de chaque sensation. Le froid sur ma peau nue alors que je me tenais, dans le plus simple appareil, devant l'autel de pierre froide sur lequel j'avais réuni quatre chandelles de cire noire. Après les avoir allumées l'une après l'autre en psalmodiant les incantations que j'avais longuement appris jusqu'à les connaître par cœur, je recueillis un peu de la cire qui coulait au centre du bout du doigt et la passais sur mon visage, observant mon reflet dans l'eau d'une coupole.
Il ne me fallut que quelques minutes pour tracer autour de mes yeux les entrelacs complexes que j'avais pu observer à loisir dans le grimoire. J'étais assez fier du résultat ; tous ces imbéciles qui me reprochaient mon manque de rigueur l'auraient aussi certainement été, pour peu qu'ils n'aient pas été retenus d'étudier cette forme de la magie sous couvert d'une ridicule étroitesse d'esprit matinée d'une bonne dose de couardise !
Aussi ai-je réellement commencé à déchanter lorsqu'au terme d'une nouvelle incantation, les motifs de cire noire se sont animés d'une vie propre et ont commencé à... Courir sur ma peau. Indifférents à mes efforts pour essayer de les retenir du bout des doigts, ils se sont glissés sous mes paupières, et je me suis mis à hurler comme si l'on me plongeait une paire de tisonniers ardents dans les globes oculaires. J'ai tourné sur moi même et balayé les meubles de grands revers de bras en appelant à l'aide, rendu fou de douleur, mais personne n'est venu. Finalement, j'ai fini par me heurter à un mur de pierre lors de ma fuite éperdue et aveugle, et j'ai sombré dans l'inconscience, assommé, nu, et le visage ensanglanté...
Lorsque je suis revenu à moi, le visage de Marius me surplombait, impénétrable. Ses yeux gris me toisaient avec un mélange de désapprobation et d'indignation, et si j'y avais prêté attention, j'aurais pu me rendre compte qu'il tremblait de colère et serrait les poings à s'en faire blanchir les jointures. Mais j'étais trop concentré sur l'étrange aura blanche et aveuglante qui enveloppait mon maître pour m'en rendre compte. Alors, le rituel avait bien fonctionné ?!...
Pas le temps de répondre à cette question. Le pied de Marius s'enfonça dans mes cotes. Une fois, deux fois, trois fois...
"Espèce de sale petit imbécile prétentieux et arrogant ! Je n'aurais jamais pensé que tu puisses être aussi stupide, Aschmédaï ! Jamais ! Tu m'as étonné à de nombreuses reprises, mais cette fois-ci, c'est la dernière ! Tu m'entends ?! La dernière !"
Pris sous ce déluge de coups de pieds et encore hagard, je ne pouvais que me recroqueviller en grognant, tentant tant bien que mal de me protéger en repliant mes bras le long de mon corps. Peut-être que je dus ma survie aux serviteurs de passage qui, alertés par le vacarme, vinrent retenir mon maître et l'empêcher de me massacrer.
En tout cas... Mes vœux s'étaient réalisés. Je pus y réfléchir à loisir durant la semaine qui suivit, affalé dans une chambre d'auberge, réfugié dans une obscurité protectrice, essayant de m'accoutumer aux myriades de lumières que percevaient ces nouveaux yeux d'un vert étrange en présence de la moindre étincelle de magie, dont notre Monde était saturé par ailleurs...
J'avais été renié. J'étais libre de faire ce que je voulais désormais.
La quatrième leçon ? Elle dit "ne fais jamais rien que tu ne puisses défaire".
Aschmédaï- Ensorceleur
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Date d'inscription : 19/12/2010
Re: [BG] L'enfer peut attendre, mais jamais assez longtemps.
V. In girum imus nocte et consumimur igni
La liberté est quelque chose d'étrange. Soyez francs avec vous même : n'avez vous jamais rêvé de pouvoir faire des choses complétement folles, en vous défiant des conséquences ? N'avez vous jamais rêvé de fuir toutes vos responsabilités, de partir sans vous retourner, d'abandonner votre vie passée et tout ce qui vous relie à elle ? N'avez vous jamais rêvé de trouver refuge sur une plage de sable blanc qui s'étendrait jusqu'aux confins de l'horizon, sur laquelle vous seriez libéré de toute forme d'autorité, du pouvoir, de l'argent, et des vicissitudes du reste du monde ? N'avez vous jamais rêvé de faire un pied de nez à cet ensemble de règles et de normes dont la complexité et la récurrences finissent par frôler l'abstraction, que vos uniques préoccupations soient de trouver le repas et l'abri du soir, de vous désaltérer dans un filet d'eau pure, et de faire l'amour à l'être cher qui partagerait vos rêves et vos délires illusoires ?
Mais avez vous déjà songé que vous ne feriez qu'échanger des chaines contres d'autres ? Car aussi utopique cette vision de la liberté puisse-t-elle être, ça ne reste jamais qu'un fantasme. En réalité, on appelle cela un exil. Un déni. Un renoncement. Oui, dans l'imaginaire, ce repli vers un sanctuaire inviolé pourrait être vu comme la forme la plus absolue de la liberté. Alors qu'en réalité...
En réalité, ce n'est jamais qu'un repli sur soi même. La plage de sable blanc et son abri laissèrent place à une masure misérable en bordure des frontières de Gilneas. L'alcool et les drogues vinrent tout naturellement remplacer ma nourriture et mon eau claire. Quant à l'être cher qui devait partager mes aspirations... Lui ne devait jamais quitter mon imaginaire, car je ne connaissais que la solitude propre aux parias.
Combien de temps vécus-je dans ces conditions ? Des semaines, des mois, presque une année qui prit vers la fin des allures d'éternité. La voilà, la liberté que j'avais acquise. Phoenix aux ailes brisées, je gisais au sol, replié sur moi même, pâle parodie de la flamme que j'aurais pu être, vacillant au jour le jour, au gré des vents tortueux du hasard et de la causalité. Jusqu'au jour où l'on vint me trouver...
Je me souviens du martèlement d'un poing sur la porte croulante de ma masure, de la lumière blafarde du soleil Gilnéen qui se découpait pour révéler la silhouette émaciée d'un homme au regard de fouine et à la barbe sale. Pas vraiment le sauveur que j'aurais pu espérer, mais étais-je en droit de réclamer mieux dans ma condition du moment ? J'en viens à croire qu'au final, la miséricorde divine, le destin, ou peu importe comment on nomme cette force qui régit la trame de nos vies, ne nous tend jamais que la main que l'on mérite.
"- Messire Aschmédaï Ibn Terrag ?" demanda-t-il en humant l'air de ma retraite, y reniflant avec intérêt la flagrance de l'alcool frelaté.
J'ai du vaguement émerger de ma torpeur avant de lisser mes cheveux de chaque côté de mon crâne en un simulacre de décence ou de coquetterie.
"- Je n'ai pas l'habitude qu'on emploie mon nom complet, grommelais-je en retour en m'extirpant de ma couche. Qui êtes vous ?..."
L'homme eut un sourire qui révéla ses dents cariées.
"- Navré, c'est que j'ai eu beaucoup de mal à vous trouver. Les registres ne sont pas à jour, et...
- C'est en grande partie lié au fait que je n'ai pas spécialement envie que l'on me trouve, répondis-je, tranchant.
- Laissez moi terminer, messire. Ce sont les affaires qui m'amènent."
Je m'interrompis lorsqu'il me coupa la parole, et plissais les yeux. Les affaires ?... Cela faisait quelques temps que je ne vendais plus mes services qu'en tant qu'amuseur de foire, à cracher du feu devant les badauds émerveillés après avoir englouti toute la bouteille d'alcool qui aurait du servir de combustible.
"- Mon maître a eu vent de votre parcours et de vos capacités atypiques. Les talents d'un mage apostat sont chose rare et recherchée dans certains milieux..."
J'écoutais d'une oreille distraite. Mage apostat, hein ?... Ainsi nommait-on ceux qui n'appartenaient plus à aucun cercle. Ceux qui avaient fui la reconnaissance de leurs pairs, pour devenir... Des marginaux. La pensée m'arracha un sourire. Mage apostat... Quelle délicieuse ironie ! Il avait fallu que je devienne un paria pour qu'on daigne enfin m'accorder le titre de mage à part entière.
"- Je suppose que c'est parce que la rumeur prétend qu'ils sont moins regardants à la morale et à la loi que d'autres, rétorquais-je, amusé.
- Il y a un peu de cela, répondit mon interlocuteur en esquissant un nouveau sourire de fouine. Pensez-vous être ce genre d'homme messire ?"
Je m'emparais d'une bouteille de tord boyaux et en remplissais deux verres tellement sales qu'ils en étaient devenus opaques, avant d'en tendre un à mon visiteur et d'engloutir l'autre d'une traite.
"- Regardez autour de vous. Ouvrez grand les yeux, et dites moi ce que je pourrais encore perdre ? répondis-je d'un ton narquois. Je crois que ça fait un bout de temps que ma morale est ensevelie sous les immondices."
Il opina du chef et but son verre d'une traite lui aussi, avant de me tendre une bourse aux contours rebondis, accompagnée d'un nouveau sourire malsain.
"- La morale, messire, n'est pas très différente d'une cape, en ce qu'on peut toujours s'en racheter une lorsque celle du moment en vient à être usée..."
Le bougre ayant touché une corde sensible, je m'emparais de la bourse et écoutais attentivement sa proposition. Il m'expliqua que son maître était un amateur d'objets magiques rares et insolites, qui parcourait inlassablement Azeroth à la recherche de nouvelles trouvailles saugrenues pour sa collection. Or, il s'avérait qu'il avait récemment porté son dévolu sur Gilneas qui, derrière ses hautes murailles, avait des allures de musée inviolé... En cela, la présence d'un "agent" initié à la magie et connaissant bien le royaume lui serait d'une aide incontestable. En échange de mes services, qui consisteraient à localiser et à lui procurer - par tous les moyens que j'estimerais nécessaire - de nouvelles pièces pour sa collection, je serais grassement rémunéré... De quoi me refaire une santé, une réputation, et même un titre de noblesse si je le souhaitais... Car tout s'achète en ce bas monde, et la noblesse ne fait pas exception, loin s'en faut.
"- Par ailleurs, reprit mon interlocuteur avec un nouveau sourire vicieux en me fixant dans les yeux, sachez que mon maître a eu vent de votre attrait pour... Pour certains domaines de magie qui ne sont pas enseignés à l'Académie. Il a en sa possession nombre de grimoires et de parchemins anciens dont il serait tout disposé à vous faire parvenir des copies. Considérez cela comme un témoignage d'amitié entre gens de grande ouverture d'esprit."
Je n'ai pris que quelques instants pour considérer tout ceci, réfléchir à tous les tenants et aboutissements de cette proposition. Puis, répliquant par un sourire, j'ai rempli de nouveau nos deux verres, et ai trinqué avec mon visiteur crasseux.
"- A notre longue coopération et à la santé de votre maître, ai-je dit de mon ton le plus mielleux."
Ce jour était le jour de mon dix-huitième anniversaire. Terrag le Noir éclata d'un rire machiavélique lorsque son serviteur revint lui annoncer que j'étais acquis à sa cause ; le meilleur moyen de se jouer d'une prophétie était encore de faire en sorte que ses conditions ne puissent plus être réunies. Après dix huit longues années d'attente, l'heure d'assouvir sa vengeance était enfin arrivée...
La liberté est quelque chose d'étrange. Soyez francs avec vous même : n'avez vous jamais rêvé de pouvoir faire des choses complétement folles, en vous défiant des conséquences ? N'avez vous jamais rêvé de fuir toutes vos responsabilités, de partir sans vous retourner, d'abandonner votre vie passée et tout ce qui vous relie à elle ? N'avez vous jamais rêvé de trouver refuge sur une plage de sable blanc qui s'étendrait jusqu'aux confins de l'horizon, sur laquelle vous seriez libéré de toute forme d'autorité, du pouvoir, de l'argent, et des vicissitudes du reste du monde ? N'avez vous jamais rêvé de faire un pied de nez à cet ensemble de règles et de normes dont la complexité et la récurrences finissent par frôler l'abstraction, que vos uniques préoccupations soient de trouver le repas et l'abri du soir, de vous désaltérer dans un filet d'eau pure, et de faire l'amour à l'être cher qui partagerait vos rêves et vos délires illusoires ?
Mais avez vous déjà songé que vous ne feriez qu'échanger des chaines contres d'autres ? Car aussi utopique cette vision de la liberté puisse-t-elle être, ça ne reste jamais qu'un fantasme. En réalité, on appelle cela un exil. Un déni. Un renoncement. Oui, dans l'imaginaire, ce repli vers un sanctuaire inviolé pourrait être vu comme la forme la plus absolue de la liberté. Alors qu'en réalité...
En réalité, ce n'est jamais qu'un repli sur soi même. La plage de sable blanc et son abri laissèrent place à une masure misérable en bordure des frontières de Gilneas. L'alcool et les drogues vinrent tout naturellement remplacer ma nourriture et mon eau claire. Quant à l'être cher qui devait partager mes aspirations... Lui ne devait jamais quitter mon imaginaire, car je ne connaissais que la solitude propre aux parias.
Combien de temps vécus-je dans ces conditions ? Des semaines, des mois, presque une année qui prit vers la fin des allures d'éternité. La voilà, la liberté que j'avais acquise. Phoenix aux ailes brisées, je gisais au sol, replié sur moi même, pâle parodie de la flamme que j'aurais pu être, vacillant au jour le jour, au gré des vents tortueux du hasard et de la causalité. Jusqu'au jour où l'on vint me trouver...
Je me souviens du martèlement d'un poing sur la porte croulante de ma masure, de la lumière blafarde du soleil Gilnéen qui se découpait pour révéler la silhouette émaciée d'un homme au regard de fouine et à la barbe sale. Pas vraiment le sauveur que j'aurais pu espérer, mais étais-je en droit de réclamer mieux dans ma condition du moment ? J'en viens à croire qu'au final, la miséricorde divine, le destin, ou peu importe comment on nomme cette force qui régit la trame de nos vies, ne nous tend jamais que la main que l'on mérite.
"- Messire Aschmédaï Ibn Terrag ?" demanda-t-il en humant l'air de ma retraite, y reniflant avec intérêt la flagrance de l'alcool frelaté.
J'ai du vaguement émerger de ma torpeur avant de lisser mes cheveux de chaque côté de mon crâne en un simulacre de décence ou de coquetterie.
"- Je n'ai pas l'habitude qu'on emploie mon nom complet, grommelais-je en retour en m'extirpant de ma couche. Qui êtes vous ?..."
L'homme eut un sourire qui révéla ses dents cariées.
"- Navré, c'est que j'ai eu beaucoup de mal à vous trouver. Les registres ne sont pas à jour, et...
- C'est en grande partie lié au fait que je n'ai pas spécialement envie que l'on me trouve, répondis-je, tranchant.
- Laissez moi terminer, messire. Ce sont les affaires qui m'amènent."
Je m'interrompis lorsqu'il me coupa la parole, et plissais les yeux. Les affaires ?... Cela faisait quelques temps que je ne vendais plus mes services qu'en tant qu'amuseur de foire, à cracher du feu devant les badauds émerveillés après avoir englouti toute la bouteille d'alcool qui aurait du servir de combustible.
"- Mon maître a eu vent de votre parcours et de vos capacités atypiques. Les talents d'un mage apostat sont chose rare et recherchée dans certains milieux..."
J'écoutais d'une oreille distraite. Mage apostat, hein ?... Ainsi nommait-on ceux qui n'appartenaient plus à aucun cercle. Ceux qui avaient fui la reconnaissance de leurs pairs, pour devenir... Des marginaux. La pensée m'arracha un sourire. Mage apostat... Quelle délicieuse ironie ! Il avait fallu que je devienne un paria pour qu'on daigne enfin m'accorder le titre de mage à part entière.
"- Je suppose que c'est parce que la rumeur prétend qu'ils sont moins regardants à la morale et à la loi que d'autres, rétorquais-je, amusé.
- Il y a un peu de cela, répondit mon interlocuteur en esquissant un nouveau sourire de fouine. Pensez-vous être ce genre d'homme messire ?"
Je m'emparais d'une bouteille de tord boyaux et en remplissais deux verres tellement sales qu'ils en étaient devenus opaques, avant d'en tendre un à mon visiteur et d'engloutir l'autre d'une traite.
"- Regardez autour de vous. Ouvrez grand les yeux, et dites moi ce que je pourrais encore perdre ? répondis-je d'un ton narquois. Je crois que ça fait un bout de temps que ma morale est ensevelie sous les immondices."
Il opina du chef et but son verre d'une traite lui aussi, avant de me tendre une bourse aux contours rebondis, accompagnée d'un nouveau sourire malsain.
"- La morale, messire, n'est pas très différente d'une cape, en ce qu'on peut toujours s'en racheter une lorsque celle du moment en vient à être usée..."
Le bougre ayant touché une corde sensible, je m'emparais de la bourse et écoutais attentivement sa proposition. Il m'expliqua que son maître était un amateur d'objets magiques rares et insolites, qui parcourait inlassablement Azeroth à la recherche de nouvelles trouvailles saugrenues pour sa collection. Or, il s'avérait qu'il avait récemment porté son dévolu sur Gilneas qui, derrière ses hautes murailles, avait des allures de musée inviolé... En cela, la présence d'un "agent" initié à la magie et connaissant bien le royaume lui serait d'une aide incontestable. En échange de mes services, qui consisteraient à localiser et à lui procurer - par tous les moyens que j'estimerais nécessaire - de nouvelles pièces pour sa collection, je serais grassement rémunéré... De quoi me refaire une santé, une réputation, et même un titre de noblesse si je le souhaitais... Car tout s'achète en ce bas monde, et la noblesse ne fait pas exception, loin s'en faut.
"- Par ailleurs, reprit mon interlocuteur avec un nouveau sourire vicieux en me fixant dans les yeux, sachez que mon maître a eu vent de votre attrait pour... Pour certains domaines de magie qui ne sont pas enseignés à l'Académie. Il a en sa possession nombre de grimoires et de parchemins anciens dont il serait tout disposé à vous faire parvenir des copies. Considérez cela comme un témoignage d'amitié entre gens de grande ouverture d'esprit."
Je n'ai pris que quelques instants pour considérer tout ceci, réfléchir à tous les tenants et aboutissements de cette proposition. Puis, répliquant par un sourire, j'ai rempli de nouveau nos deux verres, et ai trinqué avec mon visiteur crasseux.
"- A notre longue coopération et à la santé de votre maître, ai-je dit de mon ton le plus mielleux."
Ce jour était le jour de mon dix-huitième anniversaire. Terrag le Noir éclata d'un rire machiavélique lorsque son serviteur revint lui annoncer que j'étais acquis à sa cause ; le meilleur moyen de se jouer d'une prophétie était encore de faire en sorte que ses conditions ne puissent plus être réunies. Après dix huit longues années d'attente, l'heure d'assouvir sa vengeance était enfin arrivée...
Aschmédaï- Ensorceleur
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Date d'inscription : 19/12/2010
Re: [BG] L'enfer peut attendre, mais jamais assez longtemps.
VI. Lien paternel
Durant une année complète, je servis les plus noirs desseins de mon père biologique sans même le savoir, en lui procurant par tous les moyens nécessaires les différents artefacts qu’il convoitait en Gilnéas. En retour, il tint ses promesses, et m’initia indirectement aux magies les plus noires. Grimoires occultes, objets maudits, sang et abats de démon... Il me fournit tout le matériel nécessaire du bon petit felmagicien. Et d’une certaine façon, à mon insu et peut-être même au sien, il me modela à son image.
Je ne me posais plus de questions. Pour la première fois de ma vie, j’avais trouvé le pouvoir, l’argent et la reconnaissance, car mon mystérieux mécène ne se lassait pas de chanter mes louanges et de remplir ma coupe. L'orgueil est un moteur puissant, qui peut facilement mener un homme à sa perte ; j’étais trop jeune pour le savoir, et trop immature pour le reconnaître.
Vint un jour où par le biais de son contact, cet homme à tête de fouine qui était allé me dénicher dans le taudis que j’occupais encore quelques mois auparavant, mon bienfaiteur anonyme me fit une ultime proposition que je ne pus refuser. Il était question d’une dague... Une dague ancienne, d’une immense valeur car tout à fait unique dans sa catégorie. Mon commanditaire ignorait où elle se trouvait exactement ; il avait juste ouï-dire que l’objet était tombé entre les mains d’une voleuse très efficace... Une courtisane qui avait dupé son ancien propriétaire dans un habile jeu de séduction, avant de le dépouiller de son bien le plus précieux, puis de disparaître dans la nature. Là, elle avait réussi à se faire oublier quelques temps, avant que son penchant coupable pour les objets brillants ne la pousse à commettre de nouveaux larcins. La rumeur se répandit finalement dans le milieu de la noblesse Gilnéenne, tel un croque mitaine destiné à effrayer les maris aisés s’ils se montraient un peu trop volages en les frappant là où ça leur faisait mal : dans leurs bourses.
Une dague inestimable, une voleuse légendaire... Somme toute bien peu d’indices pour se mettre en quête... Si ce n’était une dernière information : l’on murmurait que cette femme était une ancienne gitane de la Foire de Sombrelune, et qu’elle arborait une somptueuse chevelure rousse.
Mon sang ne fit qu’un tour en apprenant ceci, si bien que je recrachais une bonne partie du contenu du verre que je tenais à la main. Aurais-je été un peu moins abasourdi que j’aurais peut-être remarqué le petit sourire satisfait de mon interlocuteur à tête de fouine...
“- Vous avez l’air troublé, messire Aschmédaï. Se pourrait-il que... Non... Vous connaîtriez cette ribaude ? Une de vos nombreuses conquêtes, peut-être ?”
Je secouais doucement la tête, toussant pour me rendre une contenance, tremblant légèrement sous le coup de l’étonnement et de la colère. Toutes ces années écoulées, depuis que ma mère et moi avions rompu les ponts... Toutes ces choses que l’on ne s’était jamais dites... Toutes ses absences, tous ses secrets... Une jeunesse entière passée loin de ma seule famille, confié aux mains d’un illustre inconnu pour seul tuteur... J’avais toujours pensé que Jezebel devait avoir ses raisons de s’être débarrassé de moi, mais je n’avais jamais imaginé un seul instant que c’était par pur égoïsme afin de pouvoir continuer à mener les frasques de sa vie d’avant.
“- Non. Enfin, je veux dire... Peut-être. Dites à votre maître que je vais voir ce que je peux faire.”
L’homme à tête de fouine s’en fut, particulièrement réjoui ce jour là. Il ne fut pas très difficile pour moi de retrouver ma mère ; elle vivait toujours dans la maison que nous habitions en bordure de forêt, alors que je n’étais qu’un enfant. Ses habitudes non plus n’avaient pas changé. Même âgé d’une bonne douzaine d’années supplémentaires, je sus toujours échapper à sa vigilance en empruntant ce vieux tunnel qui partait du puits et qui aboutissait à la cave, derrière une armoire branlante qui n’avait pas été déplacée durant des lustres. Une nuit, alors qu’elle dormait, je me rendis à pas de loups dans la cuisine, évitant en toute connaissance de cause les lattes de bois du parquet qui, je le savais, nourrissaient une fâcheuse propension à craquer effroyablement dès qu’on les effleurait.
Je marquais un arrêt en contemplant le coffre qu’elle m’avait toujours interdit d’ouvrir., dissimulé dans le double fond du sellier J’espérais me tromper. J’espérais que l’on m’avait menti... Mes doigts jouèrent longuement sur ses charnières de métal patiné, avant que je ne me décide finalement à glisser le bout de mon index sur le trou de la serrure. Un simple éclair lumineux, et celle-ci implosa dans une déflagration sourde. Je retins mon souffle... Pour le meilleur ou pour le pire, Jezebel n’avait rien entendu. Et moi, je demeurais hagard et silencieux en observant l’éclat de l’or, des pierres précieuses, et la poignée finement ornementée d’une dague aussi vieille que le Monde.
Je quittais la demeure de ma mère comme j’y étais venu, n’emportant avec moi que l’objet convoité, laissant le coffre éventré bien en vue avec toutes ses richesses scintillant à la lueur du feu de cheminée de la cuisine. Mon coeur était lourd, accablé par le ressentiment et la colère. Ma vie se révélait n’avoir été qu’une sinistre farce orchestrée par des parents dédaigneux au possible. On avait tenté de m’inculquer des notions telles que la patience, l’intégrité et la responsabilité. Et à côté de ça, la personne qui avait tant insisté pour que je reçoive une éducation qui ferait de moi “quelqu’un de bien” s’était débarrassé de moi par pure commodité. Tout cela n’avait aucun sens.
Lorsque je revins vers l’homme à tête de fouine à l’endroit où j’avais l’habitude de le rencontrer pour le paiement, il m’accueillit en se frottant les mains. Je fronçais les sourcils, suspicieux.
“- Où est mon argent ?...” me risquais-je en jetant un coup d’oeil inquisiteur aux alentours.
Mes yeux d’origine démoniaque pouvaient clairement distinguer que l’air était saturé d’une magie plus sombre que la nuit la plus noire. Instinctivement, je commençais à tisser un sceau de garde contre l’ombre... Lorsque mon interlocuteur subit une bien étrange transformation juste sous mon regard. Sa peau parut fondre sur son corps, des cornes émergèrent de son front, et ses habits se déchirent pour laisser place à une épaisse toison malsaine. Le satyre me fixa de ses yeux machiavéliques avant d’éclater d’un rire jovial. Comment la véritable nature de la créature avait pu m’échapper tout ce temps demeurait un mystère ; en réalité, j’avais encore beaucoup à apprendre sur les sombres arts de la démonologie.
“- Ne craignez rien, Aschmédaï. Mon maître est tellement satisfait de vos services qu’il a décidé de venir vous remercier... En personne.”
L’air parut onduler, et dans un vortex de ténèbres épaississantes se matérialisa la silhouette d’un homme de ma taille, revêtu d’une ample robe noire. Son crane dégarni était recouvert d’un tatouage qui englobait un de ses yeux à la lueur inquiétante, et sa bouche se plissa sur une dentition impeccable.
“- C’est un instant émouvant, dit-il d’une voix suave. Tu t’es révélé bien plus utile que je ne le pensais, et cela me comble de fierté, cher Aschmédaï.”
Je fronçais les yeux,nerveux et méfiant. Ma main se resserra nerveusement autour de la poignée de la dague.
“- Que signifient ces simagrées ?... Est-ce vous, mon commanditaire ? Nous nous connaissons ?”
La question leur arracha, à lui et à son satyre de compagnie, un franc éclat de rire.
“- Bien entendu, mon cher fils prodigue. Ta mère a fait la moitié du travail, et moi... Je me suis chargé de l’autre.”
J’écarquillais les yeux tandis qu’il me toisait avec un amusement certain.
“- Père ?...”
Il se contenta de hocher doucement la tête, avant de faire un signe de la main vers moi. Le satyre s’approcha en sautillant et me tendit ses mains avides et griffues.
“- Donne moi la dague, sorcier.”
Dans un remarquable réflexe contestataire, je la rangeais dans un pli de ma robe avant de foudroyer le démon du regard.
“- J’ai décidé que tout cela ne m’amusait plus, répondis-je. Je vais garder cette dague... Et en plus de la fierté, vous allez maintenant éprouver de la reconnaissance... Père. De la reconnaissance envers votre fils blessé, qui, dans sa grande mansuétude, épargnera votre vie aujourd’hui.”
La tirade arracha un nouveau rire à Terrag, un rire qui n’avait cette fois plus rien de bienveillant.
“- Tu vas me donner la dague que tu le veuilles ou non, Aschmédaï, et tu me donneras bien plus encore, car ta seule existence n’a pour seul but que de prolonger la mienne... Kylz’xtstree ! Prend lui cette maudite dague, et qu’on en finisse !”
Le satyre se jeta sur moi en rugissant, me faisant tomber au sol sous le coup de la surprise. Ses griffes acérées me labourèrent les flancs à travers mes habits, m’arrachant un gémissement de douleur, tandis qu’il cherchait l’artefact que j’avais tenté de garder pour moi. Le sang se mit à battre à mes tempes, la fureur m’envahit... Mes mains se refermèrent sur la tête du démon et un torrent de flammes se déversa de mes doigts. La créature s’embrasa comme une torche et se mit à hurler. Je la repoussais d’un violent coup de genou, avant de concentrer toute ma colère dans un nouveau sort profane.
L’ombre jaillit de ma main sous sa forme la plus pure et submergea le démon de sa ténébreuse étreinte. La silhouette cornue se distordit de façon grotesque durant quelques secondes, avant de subitement exploser en une pluie de sang et d’organes internes. Cela arracha un froncement de sourcils désapprobateur à mon géniteur.
“- Franchement... Toi et ta mère êtes de véritables fléaux, mon fils. Kylz’xtstree était un bon serviteur. Je ne vais pas passer mon temps à les remplacer !
- Rassure toi, je vais faire en sorte que tu n’aies plus jamais besoin de serviteurs, ô père !”
Toujours mué par la haine, je me tournais vers lui et invoquait une sphère de feu de la taille d’une tête, que je projetais dans sa direction. Le projectile partit en sifflant dans une trainée de flammes orangées... Mais n’atteignit jamais sa cible, car un énorme gangrechien jaillit de nulle part et l’attrapa au vol comme un chien aurait attrapé une balle. Sa gueule fumante, la créature gronda d’un air menaçant vers moi, avant de retourner au pied de son sombre maître qui m’adressa un sourire amusé.
“- Allons, allons. Est-ce là tout ce que tu peux faire ? Eteindre la flamme vacillante de ta volonté est un jeu d’enfant pour moi, Aschmédaï. Tu crois être un sorcier, mais tu n’es qu’un enfant qui a découvert le feu...”
Incrédule, je concentrais à nouveau ma colère et fis pleuvoir sur lui une déferlante de traits d’ombre, chacun ayant l’intensité de celui qui avait pulvérisé le satyre. Mais aucun des projectiles mortels n’atteint jamais Terrag. Ils étaient déviés de leur route par une puissance mystérieuse, ou bien finissaient comme absorbés par l’air ambiant... Il se contenta de ricaner en observant mes vains efforts, et, alors que j’invoquais une nouvelle sphère de feu, son gangrechien tendit ses tentacules grotesques dans ma direction, et je sentis disctinctement la magie quitter mon corps et mes mes forces m’abandonner. Ce fut comme si une chape de plomb s’abattait sur mes épaules, et que la main d’un ogre se refermait autour de mon cou, et je tombais à genoux.
Terrag me toisa de son regard sinistre, tandis qu’il avançait dans ma direction du pas assuré d’un conquérant, maintenant son sortilège d’un simple mouvement de la main. Son gangrechien sur les talons, il me contourna, et s’abaissa rapidement pour récupérer la dague avant d’émettre un grognement approbateur.
“- Quel malheur, mon cher enfant, quel malheur. Tu as du potentiel... Un don inné pour la magie du Feu... Et des prédispositions pour celle de l’ombre. Avec un peu d'entraînement, et quelques années d’expérience supplémentaires... Tu aurais pu devenir quelqu’un. Mais sois donc reconnaissant, Aschmédaï... Ta longue errance prend fin ici et maintenant, en même temps que cette existence torturée que tu n’auras jamais su apprécier à sa juste valeur.”
Je voulus répondre, l’insulter, le maudire, mais la force occulte irrépressible qui me maintenait rivé au sol ne me le permit pas. Alors, la colère laissa rapidement place à la peur, puis au désespoir, lorsque je compris que j’allais mourir... Et avec un rictus machiavélique, mon père m’enfonça la pointe de la dague entre les côtes, et entreprit de m’arracher le coeur.
Le monde qui m’entourait laissa place à une douleur si atroce que durant un bien trop long moment, elle occulta tout le reste. Alors, les ténèbres les plus insondables s’abattirent sur moi, tandis que mes yeux se fermaient sur la vision de mon bourreau extirpant un organe sanguinolent de ma poitrine.
Un battemement sourd... Puis un autre, plus distant... Puis plus rien.
Durant une année complète, je servis les plus noirs desseins de mon père biologique sans même le savoir, en lui procurant par tous les moyens nécessaires les différents artefacts qu’il convoitait en Gilnéas. En retour, il tint ses promesses, et m’initia indirectement aux magies les plus noires. Grimoires occultes, objets maudits, sang et abats de démon... Il me fournit tout le matériel nécessaire du bon petit felmagicien. Et d’une certaine façon, à mon insu et peut-être même au sien, il me modela à son image.
Je ne me posais plus de questions. Pour la première fois de ma vie, j’avais trouvé le pouvoir, l’argent et la reconnaissance, car mon mystérieux mécène ne se lassait pas de chanter mes louanges et de remplir ma coupe. L'orgueil est un moteur puissant, qui peut facilement mener un homme à sa perte ; j’étais trop jeune pour le savoir, et trop immature pour le reconnaître.
Vint un jour où par le biais de son contact, cet homme à tête de fouine qui était allé me dénicher dans le taudis que j’occupais encore quelques mois auparavant, mon bienfaiteur anonyme me fit une ultime proposition que je ne pus refuser. Il était question d’une dague... Une dague ancienne, d’une immense valeur car tout à fait unique dans sa catégorie. Mon commanditaire ignorait où elle se trouvait exactement ; il avait juste ouï-dire que l’objet était tombé entre les mains d’une voleuse très efficace... Une courtisane qui avait dupé son ancien propriétaire dans un habile jeu de séduction, avant de le dépouiller de son bien le plus précieux, puis de disparaître dans la nature. Là, elle avait réussi à se faire oublier quelques temps, avant que son penchant coupable pour les objets brillants ne la pousse à commettre de nouveaux larcins. La rumeur se répandit finalement dans le milieu de la noblesse Gilnéenne, tel un croque mitaine destiné à effrayer les maris aisés s’ils se montraient un peu trop volages en les frappant là où ça leur faisait mal : dans leurs bourses.
Une dague inestimable, une voleuse légendaire... Somme toute bien peu d’indices pour se mettre en quête... Si ce n’était une dernière information : l’on murmurait que cette femme était une ancienne gitane de la Foire de Sombrelune, et qu’elle arborait une somptueuse chevelure rousse.
Mon sang ne fit qu’un tour en apprenant ceci, si bien que je recrachais une bonne partie du contenu du verre que je tenais à la main. Aurais-je été un peu moins abasourdi que j’aurais peut-être remarqué le petit sourire satisfait de mon interlocuteur à tête de fouine...
“- Vous avez l’air troublé, messire Aschmédaï. Se pourrait-il que... Non... Vous connaîtriez cette ribaude ? Une de vos nombreuses conquêtes, peut-être ?”
Je secouais doucement la tête, toussant pour me rendre une contenance, tremblant légèrement sous le coup de l’étonnement et de la colère. Toutes ces années écoulées, depuis que ma mère et moi avions rompu les ponts... Toutes ces choses que l’on ne s’était jamais dites... Toutes ses absences, tous ses secrets... Une jeunesse entière passée loin de ma seule famille, confié aux mains d’un illustre inconnu pour seul tuteur... J’avais toujours pensé que Jezebel devait avoir ses raisons de s’être débarrassé de moi, mais je n’avais jamais imaginé un seul instant que c’était par pur égoïsme afin de pouvoir continuer à mener les frasques de sa vie d’avant.
“- Non. Enfin, je veux dire... Peut-être. Dites à votre maître que je vais voir ce que je peux faire.”
L’homme à tête de fouine s’en fut, particulièrement réjoui ce jour là. Il ne fut pas très difficile pour moi de retrouver ma mère ; elle vivait toujours dans la maison que nous habitions en bordure de forêt, alors que je n’étais qu’un enfant. Ses habitudes non plus n’avaient pas changé. Même âgé d’une bonne douzaine d’années supplémentaires, je sus toujours échapper à sa vigilance en empruntant ce vieux tunnel qui partait du puits et qui aboutissait à la cave, derrière une armoire branlante qui n’avait pas été déplacée durant des lustres. Une nuit, alors qu’elle dormait, je me rendis à pas de loups dans la cuisine, évitant en toute connaissance de cause les lattes de bois du parquet qui, je le savais, nourrissaient une fâcheuse propension à craquer effroyablement dès qu’on les effleurait.
Je marquais un arrêt en contemplant le coffre qu’elle m’avait toujours interdit d’ouvrir., dissimulé dans le double fond du sellier J’espérais me tromper. J’espérais que l’on m’avait menti... Mes doigts jouèrent longuement sur ses charnières de métal patiné, avant que je ne me décide finalement à glisser le bout de mon index sur le trou de la serrure. Un simple éclair lumineux, et celle-ci implosa dans une déflagration sourde. Je retins mon souffle... Pour le meilleur ou pour le pire, Jezebel n’avait rien entendu. Et moi, je demeurais hagard et silencieux en observant l’éclat de l’or, des pierres précieuses, et la poignée finement ornementée d’une dague aussi vieille que le Monde.
Je quittais la demeure de ma mère comme j’y étais venu, n’emportant avec moi que l’objet convoité, laissant le coffre éventré bien en vue avec toutes ses richesses scintillant à la lueur du feu de cheminée de la cuisine. Mon coeur était lourd, accablé par le ressentiment et la colère. Ma vie se révélait n’avoir été qu’une sinistre farce orchestrée par des parents dédaigneux au possible. On avait tenté de m’inculquer des notions telles que la patience, l’intégrité et la responsabilité. Et à côté de ça, la personne qui avait tant insisté pour que je reçoive une éducation qui ferait de moi “quelqu’un de bien” s’était débarrassé de moi par pure commodité. Tout cela n’avait aucun sens.
Lorsque je revins vers l’homme à tête de fouine à l’endroit où j’avais l’habitude de le rencontrer pour le paiement, il m’accueillit en se frottant les mains. Je fronçais les sourcils, suspicieux.
“- Où est mon argent ?...” me risquais-je en jetant un coup d’oeil inquisiteur aux alentours.
Mes yeux d’origine démoniaque pouvaient clairement distinguer que l’air était saturé d’une magie plus sombre que la nuit la plus noire. Instinctivement, je commençais à tisser un sceau de garde contre l’ombre... Lorsque mon interlocuteur subit une bien étrange transformation juste sous mon regard. Sa peau parut fondre sur son corps, des cornes émergèrent de son front, et ses habits se déchirent pour laisser place à une épaisse toison malsaine. Le satyre me fixa de ses yeux machiavéliques avant d’éclater d’un rire jovial. Comment la véritable nature de la créature avait pu m’échapper tout ce temps demeurait un mystère ; en réalité, j’avais encore beaucoup à apprendre sur les sombres arts de la démonologie.
“- Ne craignez rien, Aschmédaï. Mon maître est tellement satisfait de vos services qu’il a décidé de venir vous remercier... En personne.”
L’air parut onduler, et dans un vortex de ténèbres épaississantes se matérialisa la silhouette d’un homme de ma taille, revêtu d’une ample robe noire. Son crane dégarni était recouvert d’un tatouage qui englobait un de ses yeux à la lueur inquiétante, et sa bouche se plissa sur une dentition impeccable.
“- C’est un instant émouvant, dit-il d’une voix suave. Tu t’es révélé bien plus utile que je ne le pensais, et cela me comble de fierté, cher Aschmédaï.”
Je fronçais les yeux,nerveux et méfiant. Ma main se resserra nerveusement autour de la poignée de la dague.
“- Que signifient ces simagrées ?... Est-ce vous, mon commanditaire ? Nous nous connaissons ?”
La question leur arracha, à lui et à son satyre de compagnie, un franc éclat de rire.
“- Bien entendu, mon cher fils prodigue. Ta mère a fait la moitié du travail, et moi... Je me suis chargé de l’autre.”
J’écarquillais les yeux tandis qu’il me toisait avec un amusement certain.
“- Père ?...”
Il se contenta de hocher doucement la tête, avant de faire un signe de la main vers moi. Le satyre s’approcha en sautillant et me tendit ses mains avides et griffues.
“- Donne moi la dague, sorcier.”
Dans un remarquable réflexe contestataire, je la rangeais dans un pli de ma robe avant de foudroyer le démon du regard.
“- J’ai décidé que tout cela ne m’amusait plus, répondis-je. Je vais garder cette dague... Et en plus de la fierté, vous allez maintenant éprouver de la reconnaissance... Père. De la reconnaissance envers votre fils blessé, qui, dans sa grande mansuétude, épargnera votre vie aujourd’hui.”
La tirade arracha un nouveau rire à Terrag, un rire qui n’avait cette fois plus rien de bienveillant.
“- Tu vas me donner la dague que tu le veuilles ou non, Aschmédaï, et tu me donneras bien plus encore, car ta seule existence n’a pour seul but que de prolonger la mienne... Kylz’xtstree ! Prend lui cette maudite dague, et qu’on en finisse !”
Le satyre se jeta sur moi en rugissant, me faisant tomber au sol sous le coup de la surprise. Ses griffes acérées me labourèrent les flancs à travers mes habits, m’arrachant un gémissement de douleur, tandis qu’il cherchait l’artefact que j’avais tenté de garder pour moi. Le sang se mit à battre à mes tempes, la fureur m’envahit... Mes mains se refermèrent sur la tête du démon et un torrent de flammes se déversa de mes doigts. La créature s’embrasa comme une torche et se mit à hurler. Je la repoussais d’un violent coup de genou, avant de concentrer toute ma colère dans un nouveau sort profane.
L’ombre jaillit de ma main sous sa forme la plus pure et submergea le démon de sa ténébreuse étreinte. La silhouette cornue se distordit de façon grotesque durant quelques secondes, avant de subitement exploser en une pluie de sang et d’organes internes. Cela arracha un froncement de sourcils désapprobateur à mon géniteur.
“- Franchement... Toi et ta mère êtes de véritables fléaux, mon fils. Kylz’xtstree était un bon serviteur. Je ne vais pas passer mon temps à les remplacer !
- Rassure toi, je vais faire en sorte que tu n’aies plus jamais besoin de serviteurs, ô père !”
Toujours mué par la haine, je me tournais vers lui et invoquait une sphère de feu de la taille d’une tête, que je projetais dans sa direction. Le projectile partit en sifflant dans une trainée de flammes orangées... Mais n’atteignit jamais sa cible, car un énorme gangrechien jaillit de nulle part et l’attrapa au vol comme un chien aurait attrapé une balle. Sa gueule fumante, la créature gronda d’un air menaçant vers moi, avant de retourner au pied de son sombre maître qui m’adressa un sourire amusé.
“- Allons, allons. Est-ce là tout ce que tu peux faire ? Eteindre la flamme vacillante de ta volonté est un jeu d’enfant pour moi, Aschmédaï. Tu crois être un sorcier, mais tu n’es qu’un enfant qui a découvert le feu...”
Incrédule, je concentrais à nouveau ma colère et fis pleuvoir sur lui une déferlante de traits d’ombre, chacun ayant l’intensité de celui qui avait pulvérisé le satyre. Mais aucun des projectiles mortels n’atteint jamais Terrag. Ils étaient déviés de leur route par une puissance mystérieuse, ou bien finissaient comme absorbés par l’air ambiant... Il se contenta de ricaner en observant mes vains efforts, et, alors que j’invoquais une nouvelle sphère de feu, son gangrechien tendit ses tentacules grotesques dans ma direction, et je sentis disctinctement la magie quitter mon corps et mes mes forces m’abandonner. Ce fut comme si une chape de plomb s’abattait sur mes épaules, et que la main d’un ogre se refermait autour de mon cou, et je tombais à genoux.
Terrag me toisa de son regard sinistre, tandis qu’il avançait dans ma direction du pas assuré d’un conquérant, maintenant son sortilège d’un simple mouvement de la main. Son gangrechien sur les talons, il me contourna, et s’abaissa rapidement pour récupérer la dague avant d’émettre un grognement approbateur.
“- Quel malheur, mon cher enfant, quel malheur. Tu as du potentiel... Un don inné pour la magie du Feu... Et des prédispositions pour celle de l’ombre. Avec un peu d'entraînement, et quelques années d’expérience supplémentaires... Tu aurais pu devenir quelqu’un. Mais sois donc reconnaissant, Aschmédaï... Ta longue errance prend fin ici et maintenant, en même temps que cette existence torturée que tu n’auras jamais su apprécier à sa juste valeur.”
Je voulus répondre, l’insulter, le maudire, mais la force occulte irrépressible qui me maintenait rivé au sol ne me le permit pas. Alors, la colère laissa rapidement place à la peur, puis au désespoir, lorsque je compris que j’allais mourir... Et avec un rictus machiavélique, mon père m’enfonça la pointe de la dague entre les côtes, et entreprit de m’arracher le coeur.
Le monde qui m’entourait laissa place à une douleur si atroce que durant un bien trop long moment, elle occulta tout le reste. Alors, les ténèbres les plus insondables s’abattirent sur moi, tandis que mes yeux se fermaient sur la vision de mon bourreau extirpant un organe sanguinolent de ma poitrine.
Un battemement sourd... Puis un autre, plus distant... Puis plus rien.
Aschmédaï- Ensorceleur
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Date d'inscription : 19/12/2010
Re: [BG] L'enfer peut attendre, mais jamais assez longtemps.
VII. Le Second Eveil
Voilà, mon histoire se termine ici.
Ce serait une fin plausible, vous ne croyez pas ? La plupart des gens meurent lorsqu'on leur arrache le cœur, c'est un fait avéré. Les autres ont tendance à exagérer un peu. Ou alors, quelqu'un d'autre raconte leur histoire à leur place. Les bardes font ça très bien, et en musique en plus. Cela me rappelle une anecdote, dans ma jeunesse, lors d'une fugue, alors que j'étais attablé dans une bonne auberge, avec cette jolie chanteuse brune qui me murmurait des mots très mélodieux dans le creux de l'oreille...
Mais revenons-en plutôt à notre récit. Abandonné par ma mère, renié par mon maître, manipulé par mon père, honni par la société, le bilan de ma courte existence n'était pas des plus élogieux : j'étais un paria. Et contre toute attente, cela allait jouer en ma faveur, car la faucheuse n'allait pas vouloir de moi non plus.
Je me souviens avoir eu un bref aperçu de l'autre côté du voile, et entre vous et moi, ce n'est pas un endroit où je suis très pressé de retourner. La plupart des adeptes de l'Eglise de la Lumière vous affirmeront que la vie est quelque chose de merveilleux, et qu'elle mérite que l'on se batte pour elle : je tiens simplement à préciser qu'en dépit des nombreuses divergences d'opinion qui me séparent de ces illuminés, je suis d'accord avec la seconde partie de cette affirmation.
Alors que je gisais dans mon propre sang, les yeux grands ouverts sur le vide et la bouche plissée sur un cri silencieux, des bras d’albâtre se refermèrent sur moi, et des larmes coulèrent contre ma peau. Mes sauveteurs m'avaient finalement retrouvé, un peu tard peut-être... Jezebel releva son visage déchiré par le chagrin vers l'homme qui l'accompagnait, et l'implora d'une voix brisée.
"- Sauve mon fils. Je t'en supplie. Prend ma vie s'il le faut, mais sauve la sienne !"
L'homme, très égal à lui même, demeura parfaitement stoïque, avant de croiser les bras sur son torse et de marquer un silence qui mua le désespoir de ma mère en colère.
"Marius ! Je sais que tu en es capable ! Je t'en supplie... Il n'y a que toi qui puisse le faire..."
Mon ancien mentor finit par s'approcher d'un pas rapide mais sans empressement superflu, et écarta Jezebel de mon corps mutilé d'un revers de la main.
"- Ce n'est pas un service que nous lui rendons. C'est un fardeau que nous plaçons sur ses épaules, maugréa-t-il, l'air sombre.
- Fais le. J'ai... Foi en lui. Je crois encore... Que son destin n'est pas arrivé à terme."
L'archimage marqua un nouveau silence, puis il finit par opiner du chef et posa la main sur mon front livide. Des cristaux de neige se condensèrent autour de ses doigts, et une gangue de glace enveloppa mon corps agonisant, le plaçant en stase dans un sarcophage de cristal. Marius observa son travail d'un air satisfait, bien qu'aucun sourire ne vienne mouvoir ses lèvres, puis il poussa un léger soupir.
"- Le plus dur reste à faire. Nulle magie ne pourra soigner Aschmédaï... Sinon peut-être celle qui lui a ôté la vie."
Jezebel fronça les sourcils.
"- Que veux-tu dire ?
- Qu'il nous faut remplacer le cœur qu'on lui a dérobé, évidemment. Et pour cela, nous aurons besoin de la dague, qui est la clef du rituel.
- Penses tu... Pouvoir le soigner ?... Si nous affrontons Terrag ?"
Il secoua doucement la tête en faisant demi-tour.
"- Pas nous. Moi seul. Veille sur ton imbécile de fils, Jezebel. Je ne serais pas long."
Ma mère voulut protester, mais l'archimage avait déjà invoqué un portail par lequel il s'était engouffré, la laissant seule avec l'improbable cercueil qui retenait à présent le fil ténu de ma destinée...
J'ai évoqué tout à l'heure les chants des bardes. Les bardes sont des gens fascinants, qui cultivent le don de l'exagération au rang d'un art. Prenez n'importe quel récit d'un modeste cul-terreux du cru, qui partira de bon matin sur un sentier boueux, armé de son seul gourdin, équarrir un malheureux brochetripes à moitié crevé menaçant de piétiner les récoltes... Et un bon barde en tirera une geste épique, au terme de laquelle Fernand dit le Preux, auréolé de vertu et de splendeur, chevauchera son destrier au caparaçon scintillant, pour aller bouter la créature la plus féroce qu'on aie jamais vu de mémoire d'Homme à Elwynn hors des frontières du Royaume.
Bien que je sois retourné sur les lieux de l'affrontement par la suite, et que j'ai pu reconstituer le déroulement de celui-ci par quelques sources plus ou moins fiables sous la menace, vous m'accuserez certainement de chercher à me lancer dans une carrière de barde en lisant ces quelques lignes.
Marius se rendit en la lugubre forteresse de Terrag, un grand bastion de roche sombre qui se dressait quelque part sur les rivages grisâtres de la Mer Interdite. Là, il opposa la fureur des éléments et la puissance de l'arcane aux maléfices les plus noirs, et parvint finalement à acculer mon père sur les remparts de sa plus haute tour, pour y mener un duel dont l'intensité fit vibrer jusqu'à la toile même de la magie qui parcourt Azeroth.
Malheureusement, il advint qu'il était encore arrivé trop tard ; le démoniste avait déjà mené à terme le rituel de transfert, et portait en lui le cœur qu'il m'avait dérobé. Il avait finalement accompli ses plus noirs desseins, et récupéré toute la vitalité de sa jeunesse. Fort de celle-ci et de son expérience, il était désormais au summum de son pouvoir. Par ailleurs, il est rarement pertinent d'affronter un sorcier en son domaine, là où il a pu placer nombre de sceaux et de dispositifs magiques destinés à accroître encore sa force... Et encore moins lorsque ce sorcier se nomme Terrag le Noir, et qu'il est un Maître du Conseil des Ombres commandant une légion de démons.
Mais Marius n'était pas un simple professeur d'académie de campagne ; qui il était réellement, il est fort probable que personne ne le saura jamais. Le Gel se heurta à l'Ombre, et l'on raconte qu'au terme de ce duel épique, les Ténèbres elle-même furent emprisonnées dans un carcan de glace. Les sortilèges du démoniste furent tous défaits, les uns après les autres, si bien que de rage et de dépit, Terrag finit par abandonner la dague à son implacable adversaire et prit la fuite par un portail, non sans avoir conjuré une ultime et sinistre malédiction que mon ancien mentor, affaibli par ce long combat, reçut de plein fouet.
Marius repartit alors comme il était venu, laissant derrière lui un gigantesque iceberg qui avait jadis été la forteresse de Terrag le Noir... Et revint vers ma mère, épuisé et à bout de force. Jezebel bondit sur ses pieds pour lui sauter au cou et l'embrasser avec fougue... Quand leurs lèvres se séparèrent, il s'autorisa cette fois d'un sourire empreint de mélancolie.
"- Nous deux... Cela aurait pu fonctionner, si nous avions fait l'effort d'y croire, lui glissa-t-il en lui caressant la joue du bout des doigts."
Elle acquiesça et rougit, quelque chose de très inhabituel chez elle.
"- Cela peut encore fonctionner, Marius. Peut-être aura-t-il fallu que je sois sur le point de tout perdre pour m'en rendre compte... Tu as été le père qu'Aschmédaï n'a jamais eu... Et... Tu pourrais aussi être l'homme que j'ai toujours aimé, ajouta-t-elle en devenant plus rouge encore. Le seul que j'estimais assez pour lui confier l'éducation de mon fils unique, et en faire quelqu'un..."
Il l'observa longuement, silencieux, puis lui déroba un autre baiser avant de la repousser doucement mais fermement. Fouillant dans un pan de sa robe, il en extirpa un superbe collier d'or blanc, orné d'un unique saphir au fond duquel tournoyaient des brumes bleutées. Les lèvres de Jezebel s'écartèrent sur un "oh" d'étonnement.
"- Ecoute-moi attentivement. Un jour viendra où Aschmédaï rencontrera lui aussi quelqu'un qui changera le cours de sa vie. Nous savons tous deux que ton fils est une tête brûlée insensible, et que seul quelqu'un d'aussi torturé que lui pourra le comprendre."
Ma mère fronça les sourcils, méfiante.
"- Pourquoi me dis-tu cela ?...
- Parce que quand ce jour viendra, ta tâche sera de remettre ceci à cette personne très spéciale. Dis lui que... Dis lui que ça ne sera pas facile, mais que ce sera à elle seule de déterminer si Asch est quelqu'un qui mérite que l'on se batte pour lui. Aujourd'hui... Je fais ce choix. Je mise sur son avenir.
- "Asch" ?!
- Il apprendra à aimer ce sobriquet, affirma Marius en s'accordant un nouveau sourire.
- Tu... Tu me fais peur... Tu parles comme si..."
Jezebel réalisa seulement à cet instant que son amant tenait à peine sur ses jambes, et que la sueur perlait sur ses tempes. Et elle n'eut même pas le temps de protester lorsqu'il l'immobilisa d'un mot de pouvoir, avant de lui dérober un dernier baiser.
"- Je suis navré, mon amour. Mais je crains que nos routes ne soient appelées à se séparer pour le moment."
Chancelant, il se dirigea vers le carcan de glace qu'il avait lui même créé, sous le regard affolé et impuissant de ma mère. Il posa simplement une main dessus, et la prison cristalline libéra mon corps, le déposant doucement sur un tapis de neige qui prit aussitôt la teinte carmine du sang. Marius se pencha sur moi, et fronça les sourcils. Dans un tourbillon de lumière, il matérialisa au dessus de mon torse ensanglanté un orbe de glace luisant d'une douce lueur bleutée et pulsant d'un battement sourd... Le Coeur de Glace, l'artefact que j'avais contemplé bien des années plus tôt dans son laboratoire secret.
"J'ai vécu une longue vie, et elle fut bien remplie. Ton fils et toi, de vos caractères de flamme, avez réchauffé l'âme d'un vieil homme... Ce savoir incomplet que j'ai accumulé... Je lui offre. Puisse-t-il en faire meilleur usage que moi, et un jour, me surpasser. Là où je serais, je l'observerai avec attention."
Alors, s'emparant de la dague accrochée à sa ceinture, il usa de tout ce qui lui restait de magie pour sceller l'artefact à mon corps et y insuffler une nouvelle vie. Toujours immobilisée par son sortilège, ma mère ne put que verser des larmes de dépit tandis qu'elle assistait au supplice de mon mentor, qui, en proie à l'ultime malédiction de Terrag, se désagrégeait en un tas de cendres noires...
Un battement sourd... Puis un autre, plus rapproché... Puis j'ouvris les yeux. Durant un bref instant, je fus en proie à la terreur la plus totale, et portais instinctivement la main à ma poitrine : de l'indicible douleur, du froid qui m'avait consumé... Je ne sentais plus rien. Les sensations s'étaient envolées, comme si mon cœur... Avait été fait de glace.
Voilà... Mon histoire... Commence ici.
Voilà, mon histoire se termine ici.
Ce serait une fin plausible, vous ne croyez pas ? La plupart des gens meurent lorsqu'on leur arrache le cœur, c'est un fait avéré. Les autres ont tendance à exagérer un peu. Ou alors, quelqu'un d'autre raconte leur histoire à leur place. Les bardes font ça très bien, et en musique en plus. Cela me rappelle une anecdote, dans ma jeunesse, lors d'une fugue, alors que j'étais attablé dans une bonne auberge, avec cette jolie chanteuse brune qui me murmurait des mots très mélodieux dans le creux de l'oreille...
Mais revenons-en plutôt à notre récit. Abandonné par ma mère, renié par mon maître, manipulé par mon père, honni par la société, le bilan de ma courte existence n'était pas des plus élogieux : j'étais un paria. Et contre toute attente, cela allait jouer en ma faveur, car la faucheuse n'allait pas vouloir de moi non plus.
Je me souviens avoir eu un bref aperçu de l'autre côté du voile, et entre vous et moi, ce n'est pas un endroit où je suis très pressé de retourner. La plupart des adeptes de l'Eglise de la Lumière vous affirmeront que la vie est quelque chose de merveilleux, et qu'elle mérite que l'on se batte pour elle : je tiens simplement à préciser qu'en dépit des nombreuses divergences d'opinion qui me séparent de ces illuminés, je suis d'accord avec la seconde partie de cette affirmation.
Alors que je gisais dans mon propre sang, les yeux grands ouverts sur le vide et la bouche plissée sur un cri silencieux, des bras d’albâtre se refermèrent sur moi, et des larmes coulèrent contre ma peau. Mes sauveteurs m'avaient finalement retrouvé, un peu tard peut-être... Jezebel releva son visage déchiré par le chagrin vers l'homme qui l'accompagnait, et l'implora d'une voix brisée.
"- Sauve mon fils. Je t'en supplie. Prend ma vie s'il le faut, mais sauve la sienne !"
L'homme, très égal à lui même, demeura parfaitement stoïque, avant de croiser les bras sur son torse et de marquer un silence qui mua le désespoir de ma mère en colère.
"Marius ! Je sais que tu en es capable ! Je t'en supplie... Il n'y a que toi qui puisse le faire..."
Mon ancien mentor finit par s'approcher d'un pas rapide mais sans empressement superflu, et écarta Jezebel de mon corps mutilé d'un revers de la main.
"- Ce n'est pas un service que nous lui rendons. C'est un fardeau que nous plaçons sur ses épaules, maugréa-t-il, l'air sombre.
- Fais le. J'ai... Foi en lui. Je crois encore... Que son destin n'est pas arrivé à terme."
L'archimage marqua un nouveau silence, puis il finit par opiner du chef et posa la main sur mon front livide. Des cristaux de neige se condensèrent autour de ses doigts, et une gangue de glace enveloppa mon corps agonisant, le plaçant en stase dans un sarcophage de cristal. Marius observa son travail d'un air satisfait, bien qu'aucun sourire ne vienne mouvoir ses lèvres, puis il poussa un léger soupir.
"- Le plus dur reste à faire. Nulle magie ne pourra soigner Aschmédaï... Sinon peut-être celle qui lui a ôté la vie."
Jezebel fronça les sourcils.
"- Que veux-tu dire ?
- Qu'il nous faut remplacer le cœur qu'on lui a dérobé, évidemment. Et pour cela, nous aurons besoin de la dague, qui est la clef du rituel.
- Penses tu... Pouvoir le soigner ?... Si nous affrontons Terrag ?"
Il secoua doucement la tête en faisant demi-tour.
"- Pas nous. Moi seul. Veille sur ton imbécile de fils, Jezebel. Je ne serais pas long."
Ma mère voulut protester, mais l'archimage avait déjà invoqué un portail par lequel il s'était engouffré, la laissant seule avec l'improbable cercueil qui retenait à présent le fil ténu de ma destinée...
J'ai évoqué tout à l'heure les chants des bardes. Les bardes sont des gens fascinants, qui cultivent le don de l'exagération au rang d'un art. Prenez n'importe quel récit d'un modeste cul-terreux du cru, qui partira de bon matin sur un sentier boueux, armé de son seul gourdin, équarrir un malheureux brochetripes à moitié crevé menaçant de piétiner les récoltes... Et un bon barde en tirera une geste épique, au terme de laquelle Fernand dit le Preux, auréolé de vertu et de splendeur, chevauchera son destrier au caparaçon scintillant, pour aller bouter la créature la plus féroce qu'on aie jamais vu de mémoire d'Homme à Elwynn hors des frontières du Royaume.
Bien que je sois retourné sur les lieux de l'affrontement par la suite, et que j'ai pu reconstituer le déroulement de celui-ci par quelques sources plus ou moins fiables sous la menace, vous m'accuserez certainement de chercher à me lancer dans une carrière de barde en lisant ces quelques lignes.
Marius se rendit en la lugubre forteresse de Terrag, un grand bastion de roche sombre qui se dressait quelque part sur les rivages grisâtres de la Mer Interdite. Là, il opposa la fureur des éléments et la puissance de l'arcane aux maléfices les plus noirs, et parvint finalement à acculer mon père sur les remparts de sa plus haute tour, pour y mener un duel dont l'intensité fit vibrer jusqu'à la toile même de la magie qui parcourt Azeroth.
Malheureusement, il advint qu'il était encore arrivé trop tard ; le démoniste avait déjà mené à terme le rituel de transfert, et portait en lui le cœur qu'il m'avait dérobé. Il avait finalement accompli ses plus noirs desseins, et récupéré toute la vitalité de sa jeunesse. Fort de celle-ci et de son expérience, il était désormais au summum de son pouvoir. Par ailleurs, il est rarement pertinent d'affronter un sorcier en son domaine, là où il a pu placer nombre de sceaux et de dispositifs magiques destinés à accroître encore sa force... Et encore moins lorsque ce sorcier se nomme Terrag le Noir, et qu'il est un Maître du Conseil des Ombres commandant une légion de démons.
Mais Marius n'était pas un simple professeur d'académie de campagne ; qui il était réellement, il est fort probable que personne ne le saura jamais. Le Gel se heurta à l'Ombre, et l'on raconte qu'au terme de ce duel épique, les Ténèbres elle-même furent emprisonnées dans un carcan de glace. Les sortilèges du démoniste furent tous défaits, les uns après les autres, si bien que de rage et de dépit, Terrag finit par abandonner la dague à son implacable adversaire et prit la fuite par un portail, non sans avoir conjuré une ultime et sinistre malédiction que mon ancien mentor, affaibli par ce long combat, reçut de plein fouet.
Marius repartit alors comme il était venu, laissant derrière lui un gigantesque iceberg qui avait jadis été la forteresse de Terrag le Noir... Et revint vers ma mère, épuisé et à bout de force. Jezebel bondit sur ses pieds pour lui sauter au cou et l'embrasser avec fougue... Quand leurs lèvres se séparèrent, il s'autorisa cette fois d'un sourire empreint de mélancolie.
"- Nous deux... Cela aurait pu fonctionner, si nous avions fait l'effort d'y croire, lui glissa-t-il en lui caressant la joue du bout des doigts."
Elle acquiesça et rougit, quelque chose de très inhabituel chez elle.
"- Cela peut encore fonctionner, Marius. Peut-être aura-t-il fallu que je sois sur le point de tout perdre pour m'en rendre compte... Tu as été le père qu'Aschmédaï n'a jamais eu... Et... Tu pourrais aussi être l'homme que j'ai toujours aimé, ajouta-t-elle en devenant plus rouge encore. Le seul que j'estimais assez pour lui confier l'éducation de mon fils unique, et en faire quelqu'un..."
Il l'observa longuement, silencieux, puis lui déroba un autre baiser avant de la repousser doucement mais fermement. Fouillant dans un pan de sa robe, il en extirpa un superbe collier d'or blanc, orné d'un unique saphir au fond duquel tournoyaient des brumes bleutées. Les lèvres de Jezebel s'écartèrent sur un "oh" d'étonnement.
"- Ecoute-moi attentivement. Un jour viendra où Aschmédaï rencontrera lui aussi quelqu'un qui changera le cours de sa vie. Nous savons tous deux que ton fils est une tête brûlée insensible, et que seul quelqu'un d'aussi torturé que lui pourra le comprendre."
Ma mère fronça les sourcils, méfiante.
"- Pourquoi me dis-tu cela ?...
- Parce que quand ce jour viendra, ta tâche sera de remettre ceci à cette personne très spéciale. Dis lui que... Dis lui que ça ne sera pas facile, mais que ce sera à elle seule de déterminer si Asch est quelqu'un qui mérite que l'on se batte pour lui. Aujourd'hui... Je fais ce choix. Je mise sur son avenir.
- "Asch" ?!
- Il apprendra à aimer ce sobriquet, affirma Marius en s'accordant un nouveau sourire.
- Tu... Tu me fais peur... Tu parles comme si..."
Jezebel réalisa seulement à cet instant que son amant tenait à peine sur ses jambes, et que la sueur perlait sur ses tempes. Et elle n'eut même pas le temps de protester lorsqu'il l'immobilisa d'un mot de pouvoir, avant de lui dérober un dernier baiser.
"- Je suis navré, mon amour. Mais je crains que nos routes ne soient appelées à se séparer pour le moment."
Chancelant, il se dirigea vers le carcan de glace qu'il avait lui même créé, sous le regard affolé et impuissant de ma mère. Il posa simplement une main dessus, et la prison cristalline libéra mon corps, le déposant doucement sur un tapis de neige qui prit aussitôt la teinte carmine du sang. Marius se pencha sur moi, et fronça les sourcils. Dans un tourbillon de lumière, il matérialisa au dessus de mon torse ensanglanté un orbe de glace luisant d'une douce lueur bleutée et pulsant d'un battement sourd... Le Coeur de Glace, l'artefact que j'avais contemplé bien des années plus tôt dans son laboratoire secret.
"J'ai vécu une longue vie, et elle fut bien remplie. Ton fils et toi, de vos caractères de flamme, avez réchauffé l'âme d'un vieil homme... Ce savoir incomplet que j'ai accumulé... Je lui offre. Puisse-t-il en faire meilleur usage que moi, et un jour, me surpasser. Là où je serais, je l'observerai avec attention."
Alors, s'emparant de la dague accrochée à sa ceinture, il usa de tout ce qui lui restait de magie pour sceller l'artefact à mon corps et y insuffler une nouvelle vie. Toujours immobilisée par son sortilège, ma mère ne put que verser des larmes de dépit tandis qu'elle assistait au supplice de mon mentor, qui, en proie à l'ultime malédiction de Terrag, se désagrégeait en un tas de cendres noires...
Un battement sourd... Puis un autre, plus rapproché... Puis j'ouvris les yeux. Durant un bref instant, je fus en proie à la terreur la plus totale, et portais instinctivement la main à ma poitrine : de l'indicible douleur, du froid qui m'avait consumé... Je ne sentais plus rien. Les sensations s'étaient envolées, comme si mon cœur... Avait été fait de glace.
Voilà... Mon histoire... Commence ici.
~o~
Fin du BG de Asch. J'espère que vous aurez pris autant de plaisir à le lire que j'en ai pris à l'écrire. En guise de conclusion, et comme la musique et le processus d’écriture sont deux choses très étroitement liées dans mon esprit tordu, je n’écris jamais sans en écouter. Vous trouverez ci-après la playlist, non exhaustive et assez éclectique, à travers laquelle le jeune rouquin m'a souvent murmuré lui même ses répliques ! Merci à tous ceux qui auront pris la peine de lire jusqu'ici !
Because of You - Nickelback
Dance Until We Die - Omnia
Don’t Look Back - Dark Moor
Girei - Takanashi Yasuharu (Naruto Shippuden OST)
Immortal - Adema
In the End - Linkin Park
Jeune et Con - Saez
Just Hate Me - Pain
Letting the Cables Sleep - Bush
No Time to Cry - Cradle of Filth
Refuse, Resist - Apocalyptica
Sadness and Sorrow - Toshiro Masuda (Naruto OST)
Samson and Dalila - Shirley Manson
Somewhere I Belong - Linkin Park
The Unforgiven - Metallica
The Thin Line Between Love and Hate - Iron Maiden
The World - Nigthmare (Death Note OST)
Wait and Bleed - Slipknot
Aschmédaï- Ensorceleur
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Date d'inscription : 19/12/2010
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