(Histoire) Journal d'une Voyageuse

Assise en bordure de son lit, dans les communs de la taverne de Sombre Comté, la jeune femme noircissait un gros livre cerclé de cuir d'une écriture fine, toute en courbes et en déliés.

Cette entrée marquera le début de mon journal. J'éprouve le besoin de prendre des notes pour faire le point sur les récents évènements, et à défaut d'un interlocuteur à même de me conseiller - Aclysme se contentant de ronronner en se roulant sur le dos quand je lui en parle - je crains qu'il ne me faille me contenter de ces écrits.

Tout est très différent de ce que j'imaginais, et je dois avouer que je ne sais plus trop où donner de la tête depuis mon arrivée.

Je pense que mes aventures et les différentes rencontres que j'ai fait au Bois de la Pénombre, alors que je ne m'y étais rendue que pour éprouver l'efficacité de ma magie, pourraient faire l'objet d'un récit à part... De surcroit, un jeune homme a cru bon de s'enticher de moi, et bien que ce soit une situation très plaisante, j'admets que cela me désempare profondément. Si seulement je pouvais lui expliquer ma situation... Mais il ne me croirait pas. Il ne me comprendrait pas. Presque personne ne le pourrait. Et ceux qui seraient disposés à le faire sont justement ceux qui ne doivent rien savoir.

En parlant de ma magie... Je crains qu'elle n'aie d'avantage souffert des contrecoups du rituel que je ne le pensais de prime abord. Cela ne m'inquiète pas outre mesure, je pense qu'elle se reconstituera avec le temps. Mais je me sens relativement impuissante en ce moment et je n'avais pas besoin de cette complication supplémentaire. Je me félicite d'avoir pris la bonne initiative de me présenter à Lado en tant qu'apprentie arcaniste. Par ailleurs, cela n'éveillera pas de soupçons vis à vis de mon jeune âge... Il semblerait que la majorité des gens ici mettent bien plus de temps à apprendre l'Art que cela ne m'en a pris ; cela demeure compréhensible néanmoins.

J'en arrive à Treize. C'est quelqu'un de tout à fait fascinant. Si je devais le décrire, je dirais... Que c'est un gros chat ! Il est complétement insupportable et tout à fait imprévisible. Il m'a fait me déshabiller pour tester ma résolution, et n'hésite pas à employer la violence physique pour voir de quel bois je suis fait... Quelque part, les hommes sont tous les mêmes ! Mais je pense que derrière tous ses travers bestiaux, il reste tel qu'on me l'avait décrit, quelqu'un de fermement résolu à protéger les siens. En tant que tel, ce sera peut-être mon plus grand allié dans la tâche qui m'attend... Aussi est-il nécessaire que je maintienne devant lui l'image de la jeune fille naïve, bien qu'il ne soit pas complétement dupe. Mais qui pourrait l'être ? Il est évident que je lui cache des choses. L'essentiel est de faire en sorte qu'il continue de se focaliser sur les détails sans importance. Tout l'art de l'illusion est là... Maintenir l'attention sur ce que l'on cache de façon ostensible pour faire oublier le reste.

J'ai hâte de rencontrer les autres !

Lucis esquissa un sourire en observant les lettres disparaître au fur et à mesure, laissant les pages sur lesquelles elle avait écrit d'un blanc immaculé. Puis elle referma soigneusement le livre, le glissa dans sa besace, et gratifia son chat qui dormait lové dans l'oreiller d'une caresse.

"Allez viens, Aclysme. Une nouvelle journée nous attend !"